Le tirage était de cent mille exemplaires! La détenue Gneditch, qui avait partagé pendant deux ans une cellule de prison avec des rats,aurait-elle pu imaginer une chose pareille ?(p.22)
Qu'est-ce cela voulait dire ? Je n'étais pas moins abasourdi que lui.Peut-être même davantage : nous ne savions pas que Tatiana Gneditch avait été arrêtée. Pour quelle raison ? Ces années- là ,c'était une question que l'on ne posait pas.(p.13)
Ariana Grigorievna Gneditch(...) travaillait sur la littérature anglaise du XVIIe siècle, et cela la passionnait tellement qu'elle ne voyait rien autour d'elle.Or, à l'époque, il y avait des purges,on chassait de l'université les "ennemis" hier les formalistes, aujourd'hui les vulgaires sociologues, et,toujours et de tout temps les nobles,les intellectuels bourgeois, les déviationnistes et des trotskistes imaginaires. Ariana Gneditch était plongée dans les œuvres des poètes élisabéthains et ne s'intéressait à rien d'autre.(p.9)
La réalité était absurde et ne s'en cachait pas. La seule arme entre les mains de ses victimes, à proprement parler impuissantes, était justement cette absurdité. Elle pouvait vous perdre mais, avec de la chance, elle pouvait vous sauver.
Il lui arrivait de la frapper. Quand je lui demandais si elle n'avait pas peur qu'il aille plus loin, Tatiana répondait avec bon sens :
" Qui irait tuer la poule aux oeufs d'or? "
Tatiana Gnéditch répondit :
- Je suis occupée, je n'ai pas le temps. "
-Vous n'avez pas le temps ? demanda-t-il sans vraiment s'étonner, car il avait déjà compris que sa protégée se distinguait par certaines bizarreries.
- Je traduis.
Et elle précisa :
-un poème de Byron.
L'interrogateur était cultivé. Il s'avéra qu'il savait ce qu'était Don Juan.
- Vous avez lu le livre ? demanda-t-il.
Elle répondit :
- Je traduis de mémoire.
Le tirage était de cent mille exemplaires. Cent mille exemplaires ! La détenue Gnéditch, qui avait partagé pendant deux ans une cellule de prison avec des rats, aurait-elle jamais pu imaginer une chose pareille ? [...]
L'exemplaire qu'elle m'a donné porte le numéro 2. Qui a reçu l'exemplaire numéro 1 ? Personne. Il était destiné au commissaire-interrogateur, mais en dépit de tous ses efforts, Tatiana Gnéditch n'a jamais réussi à retrouver son bienfaiteur. Sans doute était-il trop cultivé et trop libéral. Selon toute vraisemblance, il a été exécuté par les organes.
Elle travaillait sur la littérature anglaise du XVII° siècle, et cela la passionnait tellement qu'elle ne voyait rien autour d'elle. Or, à l'époque, il y avait des purges, on chassait de l'université les "ennemis", hier les formalistes, aujourd'hui les vulgaires sociologues, et, toujours et de tout temps, les nobles, les intellectuels bourgeois, les déviationnistes et des trotskistes imaginaires. Tatiana Gnéditch était plongée dans les œuvres des poètes élisabéthains et ne s'intéressait à rien d'autre.
[...] ses mystérieux sommets à elle, c'était une cellule de prison équipée d'un seau malodorant avec, à la fenêtre, une "muselière" qui cachait le ciel et empêchait la lumière du jour de pénétrer.
Elle [Tatiana Gnéditch] allait rarement en promenade et ne lisait aucun livre, elle vivait à travers le poème de Byron.