Au ''Trois cassoulets''

Un homme comme moi enrage quand il est obligé de constater qu'il ressemble aux autres, ne serait-ce que par une tendresse hors de saison. Pour répondre au désir d'une certaine partie de la société ruthénoise, mes amis et moi avons décidé d'établir nos maîtresses, pensant que, du jour où elles auraient pignon sur rue, on leur ficherait la paix. Vous savez qu'elles ne méritent pas qu'on les embête ? Germaine est une fille hors du commun, Mireille est toujours d'excellente humeur et se contente de n'importe quoi pour être heureuse. Quant à Suzanne, c'est la bonne fille qui, chaque semaine, va voir sa vieille maman au couvent des Ursulines à Toulouse...

La loi n'est pas une personne tellement bien élevée. Elle s'installe, sans se soucier de ceux qu'elle bouscule ou qu'elle meurtrit.

Suzanne est méridionale. Pour elle, les mots sont des jouets et elle les accumule sans trop tenir compte de leur sens. Songez à la mère qui traite son enfant de monstre. Personne n'aurait l'idée de la croire... Eh bien ! Il en est de même pour Suzanne comme pour Mireille et Germaine. Elles usent naturellement d'un vocabulaire démesuré. Il faudrait être très naïf pour y attacher la moindre signification ou la plus légère importance.

Excusez notre ami, monsieur le Commissaire. Il est tout d'une pièce et a l'habitude d'appeler un chat un chat. Il est vrai que tous trois nous détestions cette fille qui s'acharnait contre nos amies. Toutefois, nous avons été assez bien élevés pour ne point nous livrer à des démonstrations aussi grossières qu'un étranglement et puis, je crois que nous avons toujours trop aimé les femmes pour en supprimer une, fût-elle la honte de son sexe. 

Cernil éprouva quelque amertume à constater, une fois de plus, que le populaire nourrissait des doutes quant à l'impartialité du corps de fonctionnaires auquel i était fier d'appartenir. Cela ne fit que fortifier davantage sa résolution d'élucider le mystère de la mort de Melle Sartilly quelles qu'en dussent être les conséquences.

Avec la fougue qui lui était ordinaire, M. de Harne lança :
- J'estime qu'on mène un remue-ménage bien inutile à propos de la mort de cette garce ! Je ne sais qui l'a envoyée ad patres, mais si je le connaissais, je lui serrerrais volontiers la main !

Et qui voulez-vous qu'ils soient ? Toutes les bigotes, les cocus, les mal mariés des deux sexes pardi ! Ceux qui ne pardonnent aux autres de goûter un bonheur qu'ils n'ont pas été fichus de trouver. Et puis, les bourgeois, les conformistes... Nous sommes des irrégulières. Sous prétexte que nous n'avons pas passé devant le maire et le curé, on nous croit capables de débaucher toute la population mâle de Rodez... Les mères font semblant de trembler pour leurs fils et les épouses pour leurs maris. Toutes n'ont qu'un but : nous rendre la vie impossible et nous voir débarrasser le plancher. Il paraît qu'on n'a pas le droit d'être heureux en dehors des règles établies ou alors, c'est de la provocation !

On entendit quelqu'un qui de la cuisine demandait :
"Qu'est-ce qui se passe ?
La voix paisible de Mireille sembla emplir la salle lorsqu'elle répondit détachant bien les mots :
C'est cette vieille bique de Sartilly qui fait son numéro.
Du coup, les rires déferlèrent et Monique, tremblante de rage, cria plus qu'elle ne dit :
Il n'y a donc pas un homme d'honneur ici pour prendre la défense d'une honnête femme insultée par des filles publiques !
Un oh ! de protestation courut parmi les tablées. Suzanne s'approcha de Monique :
Vous êtes venue pour m'insulter ?
Je me demande comment il faudrait s'y prendre pour insulter des filles de votre espèce !
Comme ça !
Et Suzanne appliqua une maitresse gifle sur la joue de Monique Sartilly...

Léonce se leva et tapant amicalement sur l'épaule du jeune homme :
- Vous savez très bien qu'il y a quelqu'un qui ne demande qu'à vous aider ou alors c'est que vous êtes vraiment un imbécile.

Monique Sartilly était une grande fille, un peu sèche, du genre amazone, prétendaient ceux qui ne l'aimaient point, tandis que ceux qui ne nourrissaient pas d'aversion à son endroit, admettaient qu'elle avait de l'allure et une certaine flamme dans le regard. Monique n'attirait pas, mais retenait l'attention. Elle était dépourvue de charme et c'était là son principal défaut. De plus, la hargne perpétuelle qui l'habitait, durcissait ses traits et lui donnait un visage revêche. Monique souffrait dans son orgueil de sa position chez les Valfroicourt, car elle avait le goût du commandement.