Ne faut-il…
Ne faut-il,
parcouru de hasards et d’années,
se résoudre encore à parler,
sans preuve, sans témoin,
ébruiter le teint de son rêve,
établir la nuit et le matin sur terre,
l’étonnement du courage obscur,
la fureur noble, insensée,
réclamer l’autre blessure ?
Ne faut-il aussi dormir,
boire le thé de cette ombre,
s’abreuver à la densité du songe
quand un visage est là parfois
dans un autre
et qu’il y a plongée de regards,
fleurs révulsées,
qu’il y a souffle
et saison rebroussée,
sang neuf
du geste manqué ?
rêver la saveur du temps
Cela passait par la mémoire,
venait très doux
comme une main posée sur l’épaule,
une victoire distraite de l’absence.
Le matin seulement,
sur ses premiers pas,
une rouille fugitive
pour surprendre la saison.
Non l’avenir
qui se grime en promesse,
mais ce bord perdu
à rêver la saveur du temps.
C'est le soir
ce n'est plus de l'or.
Un mur tombe en poussière.
Descente, pas davantage ;
arrêt brusque des machines
et cette chemise de silence,
douce et fraîche sur la peau.
Maintenant nous venons près du bord.
Invités à jongler sur notre vertige,
croyons-nous encore ?
Le sens tient-il à voix basse ?
Oserons-nous vous attendre,
promesse accomplie,
face éternelle à nos yeux de cendre ?
— Plus je vais,
Une ombre en écho :
ainsi aurons-nous vécu,
les passionnés de lumière !
On attend toujours la carte postale d’hier,
la miette d’absolu qui ne peut que se perdre.
On salue. On recommence. On poursuit.
On a des façons d’entendre et de croire.
Dans toute cette affaire, on a joué la durée.
Et la durée se révèle infime.
— Plus je vais,
abandonné de mon âge,
à chaque pas moins réelle
ma naissance,
tout cet assemblage
censé me faire une vie,
je lui trouve en bout de piste
l’air dignement dérangé.
— Et vous en souriez ?
— Je ne saurais trop dire,
ni s’il demeure
d’un si faible sourire
une île heureuse…