En quatre parties et de quatre points de vue différents,
Faulkner entraîne le lecteur dans une histoire de la famille Compson « racontée par un idiot » dans le sud profond des Etats-Unis.
Bien sûr la première narration, celle de l'idiot, Benjy, grand dadais de 33 ans promené par un jeune garçon noir, Luster semble la plus déroutante. Il faut savoir que Benjy n'a pas de parole – hormis un constant gémissement plus ou moins modulé, plus ou moins intense, qui agace ses proches – ni de discernement du temps, si bien que, dès qu'il est à un endroit le présent peut se faire instantanément passé, d'une ligne à l'autre. Il faut donc persévérer dans sa lecture jusqu'à la deuxième partie, point de vue de Quentin, le fils incestueux, obsédé lui aussi par le temps- il commence par détruire les aiguilles de sa montre- dont le passé trouble ressurgit sous forme de monologues intérieurs souvent notés en italiques ou sous forme de dialogues non ponctués, et qui s'insèrent dans sa « réalité » d'étudiant de Harvard. Il se retrouve avec une petite fille perdue dont les yeux fixes et noirs doivent appuyer sur son remords ou lui rappeler sa soeur Candace, « Caddy » que Benjy au début confond avec l'appel des golfeurs. Cette partie se déroule 18 ans avant l'histoire de Benjy.
Sur ces quatre parties, seule la deuxième se passe en 1910. Les autres parties se déroulent en avril 1928 sur trois jours mais qui ne se suivent pas exactement. On a le 7 avril (Benjy) ; le 6 avril (Jason) et l e 8 avril, les Noirs sous une narration plus classique et la transcription orale que fait
Faulkner de leur parler et de leur accent.
Jason, le fils dont la mère est fière, celui qui fait bouillir la marmite, poursuit de sa sévérité, sa nièce Quentin qui s'enfuit avec un artiste forain tandis qu'il peste contre « ces juifs Newyorkais qui font la pluie et le beau temps à la bourse. " Alors Jason thésaurise l'argent que lui donne Caddy pour sa fille et fait sans cesse montre de son autorité, de sa fureur, considérant sa nièce comme le diable puisque née d'un amour défendu : « Once a bitch, always a bitch… » (Salope un jour, salope toujours…) est son leitmotiv.
Enfin il y a toute la communauté noire représentée par la présence tellurique de Dilsey, la servante au grand coeur et ses enfants Luster, Frony et T.P. Dilsey semble servir de tampon à toutes les passions et les drames de la famille Compson : le fils idiot, la fille perdue, le suicidé, le petit chef… dont elle exprime le chagrin lors de l'office du dimanche sous la voix convaincante du pasteur qui au départ faisait rire par sa ressemblance avec un petit singe. Chez
Faulkner, la religion reste affaire de gens simples et qui en ont besoin , d'innocents en quelque sorte.
de nombreux thèmes s'entrecroisent dans ce roman, outre les scandales et les tabous familiaux, il reste bien sûr la condition des noirs dont l'émancipation est à peine perceptible dans les petites insolences de Luster ou leurs capacités à conduire des automobiles. Car c'est dans les détails que
Faulkner construit ce roman a-priori décousu, au détour d'une phrase, d'un mot, d'une chose vue par un personnage que tout se révèle. Au lecteur de reconstruire le puzzle au fur et à mesure de ces révélations pour mieux restituer l'ensemble de l'histoire.
On peut aussi avancer les thèmes antagonistes des paysans et de
la ville (Les rednecks et ceux qui boursicotent), les noirs et les blancs, la famille et l'individu, l'idiotie (Benjy) et la capacité intellectuelle (Quentin) avec pour point commun, la folie, la cupidité , l'égoïsme de chacun des personnages dans cette histoire « pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien. »
The clock tick-tocked, solemn and profound. It might have been the dry pulse of the decaying house itself; after a while it whirred and cleared its throat and struck six times.
(On entendait le tictac de l'horloge, solennel et profond. On aurait dit le pouls sec à l'intérieur de la maison délabrée ; après un moment elle bourdonna, éclaircit sa voix et sonna six fois.)