Ragman

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Ray Fawkes, dessinés et encrés par Inaki Miranda, avec une mise en couleurs réalisée par Eva de la Cruz. Il se termine avec 8 pages d'études graphiques effectuées par Miranda. Les couvertures ont été réalisées par Guillem March et Brian Beredo.

Il y a 6 mois, dans une région désertique d'Israël, un groupe de 6 soldats en tenue paramilitaire s'introduit dans un temple. Ils font sauter un mur avec un explosif pour s'y introduire plus profond. Ils finissent par arriver dans la chambre la plus secrète. Ils y découvrent un grand coffre de pierre, couvert d'une écriture cunéiforme. Ils commencent à forcer le coffre, quand leurs deux compagnons qu'ils ont laissés dans le couloir pour faire le guet leur annoncent l'arrivée d'un autre groupe. Au temps présent, Rory Regan (l'un des militaires de l'expédition clandestine) participe à un groupe de parole de vétérans. Ils évoquent leur expérience de combat et la difficulté à gérer les syndromes de stress post traumatique qui en découlent. L'un d'entre eux évoque les limites de son traitement médicamenteux. L'autre indique qu'il a des hallucinations, en particulier il voit des monstres, ce qui fait immédiatement réagir Rory Regan.

Après la séance, Rory Regan rentre chez son père qui a un appartement au-dessus de sa boutique d'antiquités appelée Rags'n Tatters. Il s'excuse pour son retard et de ne pas avoir prévenu son père, et il monte dans sa chambre. le lendemain il se rend à la fête d'anniversaire de Frank junior, le fils de Francis Wlakowic, l'un des 5 militaires qui étaient avec lui dans le temple. Sa veuve Mandy Wlakowic se confie à lui disant à quel point son mari lui manque et que son fils a besoin d'un père. Dans sa chambre, Rory Regan se souvient de ses compagnons d'arme, de leur mort, de la remarque du vétéran sur les monstres, de son impression de détecter un monstre dans la foule des passants de temps à autre. Il reprend conscience dans une rue qu'il ne connaît pas, enveloppé de bandages et de charpie, avec des lanières émanant de sa cape. Il s'élance sur un monstre en train d'attaquer un passant alors qu'il entend la voix de Rodney Miller dans sa tête.

Ragman (Rory Regan) est un personnage qui a été créé par Robert Kanigher & Joe Kubert en 1976 et qui a bénéficié d'une première courte série de 5 épisodes. Il est apparu de manière très sporadique lors de crossovers de l'univers partagé DC, et a bénéficié d'une deuxième série de 8 épisodes en 1991, réalisée par Robert Loren Fleming, Keith Giffen et Pat Broderick. Dans sa version avant Crisis on infinite Earths (1985, par Marv Wolfman & George Perez), Rory Regan était irlandais et vétéran de la guerre du Vietnam. Dans la version post Crisis, il est de confession juive et les pièces du patchwork de son vêtement sont l'émanation des âmes des criminels qu'il a éliminées. En entamant cette histoire, le lecteur présuppose qu'il va découvrir une nouvelle version, post New 52, et même Rebirth. Effectivement, le personnage principal s'appelle bien Rory Regan et son père possède toujours une boutique d'antiquité, mais il n'est plus question de la guerre du Vietnam, et la nature du vêtement de Ragman reste bien mystérieuse. Ray Fawkes a donc choisi de réviser les origines du personnage, et d'en proposer une nouvelle itération. Il reprend de nombreux éléments de la version originelle : un vétéran (mais il n'est pas associé à une guerre explicitée), son père et le magasin d'antiquités, un costume aux propriétés extraordinaires, une action qui se situe à Gotham. Pour le reste, il s'agit d'une découverte.

Ray Fawkes est un auteur complet ayant réalisé des récits très personnels comme Intersect Volume 1: Metamorph (2014) ou Underwinter: Symphony (2017). Il a choisi de mettre en scène une nouvelle itération de Rory Regan, avec une autre expérience militaire et des situations de combat, pour être raccord en termes de date avec un comics publié en 2018. Il a conservé le père Gerry Regan, et la relation entre eux. Visiblement Rory Regan est au chômage, et il est soutenu moralement par son père, dans le cadre d'une relation d'adultes. le héros souffre d'une forme de culpabilité d'être le seul rescapé, un peu accentuée par l'intérêt que lui porte la veuve d'un de ses camarades, qui voit en lui une bouée de sauvetage, quelque chose à quoi se raccrocher. Il doit gérer ce qu'il pense être un syndrome de stress post traumatique et il conserve une forme de respect et d'esprit d'équipe avec ses camarades morts pendant la mission dans le temple. le lecteur n'en apprend pas beaucoup plus sur sa personnalité. Il n'en apprend pas beaucoup tout court sur la personnalité des autres protagonistes, que ce soit Gerry Regan, Mandy Wakowic et son fils Frank junior, ou même les autres membres de l'équipe clandestine Rodney Miller, Pedro Guzman, Francis Wlakowic et Tommy Yarrow.

Le scénariste conserve le lien entre Ragman et Batman, à savoir que le premier intervient dans la ville du second. Cela occasionne forcément sa rencontre avec un membre de la famille élargie des superhéros à l'effigie de la chauve-souris. Il s'agit d'une rencontre assez brève, le temps de 2 pages dans l'épisode pour ce membre lui indique que sa présence a été détectée et qu'il entre dans une période de probation à l'issue de laquelle la surveillance dont il aura été l'objet permettra de déterminer s'il est le bienvenu ou non. du point de vue de l'historique des apparitions de Ragman, ce lien avec Batman et consorts a toujours été très ténu. L'intrigue repose à la fois sur le fait que Rory Regan doit faire l'expérience de ce qu'il est devenu, découvrir petit à petit ce qu'est cette espèce de manteau qui le recouvre, et lutter contre des sortes de démons qui semblent bien savoir qui il est et quelle est son importance. Outre Gotham, Ray Fawkes établit un autre lien avec l'univers partagé DC, une des créations de Jack Kirby ayant un enjeu personnel dans l'histoire et luttant aux côtés de Ragman, et avec la participation plus réduite pendant 2 épisodes d'Ystina, un des 7 Soldats de la Victoire.

Le lecteur se fait un plaisir de retrouver l'artiste Inaki Miranda, avec ses dessins acérés et denses qui a déjà illustré la série Coffin Hill avec Kaitlin Kittredge, et l'histoire Fairest, tome 2 : le Royaume caché avec Lauren Beukes. Il démarre très fort dans le premier épisode, avec un niveau de détails impressionnant que ce soit pour l'équipement des militaires ou les murs du temple dans lequel ils pénètrent, ou encore avec l'aménagement intérieur de la boutique Rags'n Tatters, et de l'appartement situé au-dessus. Il dessine de manière réaliste et détaillé, ce qui permet au lecteur de regarder les gratte-ciels de Gotham, l'équipement militaire des soldats, le pavillon de banlieue de Mandy Wlakowic, l'alignement des croix dans un cimetière militaire, l'appareillage dans la chambre d'hôpital de Gerry Regan, l'aménagement d'une salle de spectacle désaffectée, ou encore les rues de New York lors d'une course-poursuite haletante. Il constate toutefois que la nature du scénario des 2 derniers épisodes (une suite d'affrontements physiques) permet à Miranda de s'économiser sur les décors, chaque épisode n'en comportant que sur 2 pages.

Au fur et à mesure de l'avancée du récit, les combats physiques s'intensifient et s'allongent. le lecteur peut alors apprécier les qualités de la narration visuelle d'Inaki Miranda. Il sait créer des images spectaculaires : Ragman semblant plonger dans le vide depuis un étage élevé d'un building (épisode 1), l'énergie mystique émise par Ruah Tum'ah rayonnant à travers la vitrine de Rags'n Tatters (épisode 2), la première apparition d'Etrigan (épisode 3), Ragman bondissant sur le toit d'un taxi dans les rues de Gotham (épisode 4), un troupe d'individus possédés avançant vers le pavillon des Wlakowic (épisode 5), l'ennemi de Ragman se saisissant de son corps inanimé (épisode 6). L'artiste a trouvé un rendu visuel très convaincant pour les bandelettes émanant du corps de Ragman, comme s'il s'agissait de fins tentacules, mais sans en perdre la texture en tissu. Chaque fois qu'elles manifestent, elles semblent se dérouler dans toutes les directions, sachant trouver le bon équilibre entre le figuratif et une impression de surnaturel. Il intègre également quelques éléments horrifiques qui remplissent bien leur fonction, comme les tâches de sang des blessures, l'impuissance de l'individu blessé emmené par les services de secours, la détermination implacable d'individus possédés par une force surnaturelle, la faiblesse des êtres humains face aux forces surnaturelles, une foule submergeant littéralement un individu.

Ce récit propose une nouvelle itération d'un personnage méconnu de l'univers partagé DC, avec un début très fort, à la fois pour les prémices de l'intrigue, et pour la densité d'informations des dessins et la force de leur composition. le lecteur (re)découvre ce personnage, avec tout ce qui fait son mystère. Mais au fil des épisodes, Ray Fawkes revient à une utilisation très basique des âmes des ennemis, et il fait culminer son récit en affrontement physique de 2 épisodes, un peu long, pendant lequel Inaki Miranda continue de faire des merveilles en termes de représentation de Ragman, mais se désintéresse totalement de l'environnement dans lequel il se déroule. 3 étoiles pour un lecteur de passage, 4 étoiles pour un lecteur appréciant Inaki Miranda.