Citations sur Nagasaki (130)
Je comprenais que cette année commune, à elle et à moi, même si elle m'avait ignoré et que je n'avais rien su d'elle, allait me changer et que je n'étais déjà plus tout à fait le même. En quoi, je n'aurais pas su le définir. Mais je n'en sortirais pas indemne
S’il est une chose dont j’ai acquis la conviction au cours de toutes ces semaines, c’est bien cela : le sens n’existe pas. C’est-à-dire qu’il ne préexistait pas. L’idée de sens a été inventée par l’humanité pour mettre un baume sur ses angoisses et la quête d’un sens l’accapare, l’obnubile. Mais aucun « Grand Ordonnateur » ne nous surveille du haut des cieux.
Au-delà de la vitre, la femme regardait le soleil miraculeux. Paupières mi-closes, elle se laissait inonder par ce cadeau du ciel; son visage, qui n'avait plus sa jeunesse, et pour tout dire n'avait guère de charme, accueillait sans résistance les rayons qui succédaient aux rayons pour elle toute seule, après être partis qui sait quand d'une étoile à cinquante millions de kilomètres d'elle.
Cela n'a duré qu'une seconde, mais j'ai eu le temps d'imaginer qu'un individu suivait mon évolution grâce à elle, à l'instant même, et décrochait son téléphone pour avertir la police de ma présence chez lui. On me prenait sur le fait dans la cuisine, puis on me jetait dans une cellule. Et pendant ce temps-là, l'oeil d'un autre type, qui se croyait le véritable possesseur des lieux...
On est tous comme vous, monsieur Shimura, on voit tous des elfes, pour tenter de s'en sortir.
Par un phénomène d'associations, elle m'obligeait, je ne sais comment, à me pencher sur mon passé. Tous ces jours dont je ne conservais pas le moindre souvenir...Le 10 octobre 2006, par exemple. Qu'aurais-je fait ce jour là de plus ou de mieux que le 1er mars 2003? En météorologue, je cultivais une bonne mémoire des événements du ciel, mais de moi-même, ici-bas, que restait-il ?
( Stock,2010,p.55)
Elle se sent nettement mieux.On est à la mi- journée et elle répugne à s'en aller déjà. Comme cela fait du bien, enfin, un toit, un intérieur...Encore un peu....Pour quoi pour où s'arracher à ce lieu...? Elle n'a plus de famille; ses derniers liens avec le monde, ce sont quelques ex- collègues avec qui elle n'ose renouer tant qu'elle ne mène pas une vie décente.
( Stock, 2010, p.50)
Par-derrière la voix de celle qui s’était glissée chez moi, et dont toutes les phrases étaient consignées là sous mes yeux, j’entendais au loin des sirènes d’ambulances, les plaintes des freux puis le trille des trams à l’heure de pointe. Vous allez être surpris, Shimura-san…
Soudain - j'avais quitté ma cuisine des yeux quelques secondes afin de modifier la dernière carte en date de la mer intérieure -, j'ai surpris une forme, et cette forme ressemblait fort à celle de la veille. Mais cette fois, elle ne bougeait pas. Comment avait-elle pu ?? C'était de la sorcellerie. Je n'y comprenais rien. Debout, près de la fenêtre ensoleillée, elle remplissait d'eau la bouilloire. Je la tenais. Sans réfléchir, j'ai décroché et composé un numéro d'urgence. Police ? Je parlais fort et, parlant fort, ne m'apercevais pas à quel point j'ameutais le bureau.
Je ne m'accrochais à rien.Le glissement de terrain, je l'ai compris peu à peu, continuait en moi.Il avait commencé un jour de typhon en se jetant sur ses premières proies; l'éboulement poursuivait son oeuvre plus lentement, plus souterrainement.Il emportait pan par pan la vie que j'aurais aimé mener.