Citations sur Notre-Dame-aux-Ecailles (33)
C'est curieux, quand j'y pense, l'idée même d'un train de nuit : voyager endormi pendant que l'univers bouge autour de soi. On se déconnecte quelques heures, on abdique en laissant les autres faire le travail. Partagé entre le sommeil, la vibration qui nous berce et l'envie d'enregistrer toutes ces sensations, les kilomètres de rail, la conscience du monde qui défile là-dehors.
[Le train de nuit]
Fermé sur sa propre douleur, on oublie vite ce qui nous entoure.
Dans le confort de ses certitudes, on se répète souvent que le moment venu, dans une situation extrême, on saura se dépasser. Poussé à bout par l'urgence, la nécessité, que sais-je encore. Un coup d'oeil dans l'abîme m'a suffi : j'ai perdu le bénéfice du doute. Même mon remords, aujourd'hui, est égoïste.
A moins que j'aille me fondre à la pierre, quelque part, pour devenir muraille à mon tour. Ma peau se dessèche déjà. Mon visage n'est plus qu'un nid de démangeaisons, et le bout de mes doigts commence à s'effriter. Si je ne me dépêche pas de gagner du répit en capturant une nouvelle prise, je perdrai bientôt l'usage de mes mains. Venise préférera sans doute cette fin-là : lente et raffinée à la fois.
("La cité travestie")
Elle était de ces gens chez qui l'hospitalité passe par le ravissement du palais. Son affection pour ses proches se mesurait à l'aune des heures qu'elle consacrait à leur mitonner des plats.
(...) l’ange me ressemblait. Quelque chose dans le pli du sourire, l’épaisseur des sourcils. La ligne des cheveux peut-être. Juste au-dessus du socle, les pans de la robe se changent en racines d’arbre bien ancrées dans la pierre. Sur les tempes, les joues, le dos des mains, la peau se couvre d’écailles minuscules. Comme si le costume d’humain se déchirait parendroits, dévoilant une nature ophidienne. Bestiale par essence, mais avec la singulière élégance des reptiles.
La musique adoptait les contours d'un dragon, et jusqu'à sa couleur. Elle ignorait que des sons puissent se traduire par des couleurs, mais si cette chanson en possédait une, c'était forcément le rouge sang des écailles.
Apprendre à écouter respirer les pierres, s’il faut en arriver là. Entendre pulser le sang épais qui alimente les rêves minéraux de la ville. Sentir en chaque pierre, en chaque muraille, la rémanence d’un passé rarement paisible, fantôme des jours de splendeur et de violence.
Couleurs de crépuscule : un bleu irréel là où commence la nuit, une rose d'aquarelle qui déteint sur le crépi. Quelques nuances d'un jaune bâtard entre les deux. Premières étoiles et le disque pâle de la lune qui s'esquisse doucement.
p.111.
J'étais partie seule en vacances pour « faire le point », comme on dit : mettre les choses entre parenthèses en prenant de la distance. Mais les problèmes, à mon retour, seraient toujours là.