Sur tes cils fond la neige

Pour Wisner et sa bande, Jivago était fondamental en tant que propagande, non seulement pour son message et son caractère instructif, mais aussi et surtout afin de pousser les Soviétiques à s’interroger sur ce qui ne tournait pas rond avec leur gouvernement pour qu’une œuvre littéraire magistrale, signée d’un homme reconnu comme le meilleur auteur russe vivant, ne soit pas disponible dans leur propre pays et dans leur propre langue.

Pour Pasternak, Saint-Pétersbourg n'était pas simplement une ville merveilleuse, c'était aussi un endroit peuplé par les figures mythiques venues des profondeurs de la Russie éternelle, tels Pierre le Grand, Elisabeth la Clémente ou la Grande Catherine, rythmé par les merveilles architecturales, propice aux promenades contemplatives et aux rendez-vous secrets.

L'approche que Marina avait de l'amour était singulière. Pour elle, il y avait deux temps cruciaux : celui qui précède la rencontre, celui qui suit la séparation. Elle attachait même plus de prix à la séparation qu'à la rencontre.

Evguénia avait des yeux étincelants, un nez droit et fin. Sous un air boudeur d'éternelle enfant se cachait un caractère difficile. La frêle et fragile Evguénia était aussi une femme ambitieuse cherchant l'accomplissement artistique.

Bien plus tard, sous la dictature rouge, il continuerait de savourer la beauté des textes bibliques. Il connaissait par coeur de nombreux psaumes dont il admirait la poésie. Sa perception en était cependant très personnelle. Il sacralisait la nature et faisait du texte religieux un usage poétique plus qu'exégétique...

L'appartement moscovite des Pasternak se trouvait dans une artère que surplombait une colline. Il avait une vue magnifique sur la Moskova et sur l'imposant dôme doré de la cathédrale du Christ-Sauveur. Le majestueux Kremlin avec ses murs ciselés s'offrait au regard à quelques centaines de mètres.

En descendant du wagon, il reçut la ville en plein visage, avec ses maisons pittoresque, ses silhouettes incertaines et les carillons lointains des cloches. Il adorait ces journées de fin d'été, quand, au crépuscule, s'enflammaient les réverbères aux lueurs chaudes. Les vitrines s'éclairaient, la ville libérée des préoccupations du jour s'animait. Les cochers se faisaient plus rapides, plus grave était le bourdonnement des tramways.

Le neige est drue et forte,
Il neige sur les toits.
Je sors devant la porte.
Devant moi je te vois.

Dans un manteau d'automne,
Sans chapeau, sans sabots,
Tu trembles, tu t'étonnes,
Mâchant des flocons d'eau.

Les arbres, les clôtures
Se noient dans le brouillard.
Seule, au coin du mur,
Tu te tiens à l'écart.

De ton fichu l'eau glisse
Lentement jusqu'aux gants.
Et sur tes cheveux lisses
L'eau scintille en tremblant.

Et une blonde mèche
Eclaire ton fichu,
Ta figure si fraîche,
ton petit pardessus

Sur tes cils fond la neige,
Tes yeux sont attristés.
Ton visage, pensé-je
D'un seul bloc est sculpté.

Ton visage en épure
Comme par de l'airain.
Marqué de noircissure
Et mon coeur est empreint.

Il garde en souvenance
La douceur de ces traits,
Aussi quelle importance.
Si le monde est mal fait ?

Aussi la nuit de neige
Paraît scindée en deux ;
Des frontières n'osé-je
Tracer entre nous deux

Mais qui donc sommes-nous
Quand il ne restera de ces temps que ragots
Et de nous que des cendres ?

La vie changea avec l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir.Une période de réformes connue sous le nom de perestroïka commença. Ce fut une véritable ouverture vers la liberté déjà pressentie par Pasternak : "Les époques passeront, nombre de grandes époques. A ce moment-là, je ne serai plus de ce monde. On ne retournera pas au temps de nos pères et de nos grands-pères, ce qui d'ailleurs n'est ni indispensable ni souhaitable. Mais enfin l'esprit noble,créateur et grand, demeuré si longtemps caché, réapparaîtra.(...)Votre vie sera riche et féconde comme jamais. Souvenez-vous de moi..."

Le père de Pasternak aimait peindre l'entrée du parc où se dressent encore, de chaque côté de l'avenue de bouleaux qui conduit à la maison, deux tours érodées par le temps et coiffées d'un toit en forme de pétase. Ces tours recouvertes de chaux laissent voir sous l'enduit les mêmes petites briques couleur de sang caillé que les murs du Kremlin.