Oui, c'est sûr qu'il y a du bon dans cette trilogie. L'auteure rend bien l'ambiance électrisante de New York et le fourmillement d'après-guerre. Elle y aborde efficacement des thématiques trop méconnues ou tristement oubliées, comme cette fameuse chasse aux sorcières du contexte anti-communiste, le raciste latent – ou clairement avoué – de certaines scènes, l'homophobie, etc.
Mais d'un point de vue strictement narratif, les 1800 pages des trois volumes cette histoire-fleuve sont décevantes.
D'abord, et je m'étonne que si peu d'internautes le signalent, il y a infiniment trop de personnages, d'autant que leurs destinées sont assez similaires (toutes ces filles essaient de percer dans le domaine culturel, tout en essayant de trouver l'amour). On oublie qui est qui, quel est leur enjeu principal. A chaque changement de scène, il faut quatre, cinq, six pages pour se remémorer où on avait laissé tel ou tel protagoniste la dernière fois qu'il en était question, ce qui nuit grandement à la fluidité de la lecture. Et fatalement, une telle profusion de personnages fait que chaque intrigue ne progressera que très peu et très lentement. En fin de compte, au terme de la trilogie, ce qui arrive à chacun d'eux tiendra en un résumé d'un paragraphe. Ce qui laisse une impression assez vaine. Certaines pistes n'ont pas été exploitées, faute de… temps ? d'idées ? Les talents de pianistes de Jo et son début de carrière, la lutte politique de Dido, les apparitions de
Woody Allen, le rôle de Midget dont on finit par ne plus reparler, sont quelques-unes de ces trames narratives avortées qui me viennent à l'esprit. En repensant à l'ensemble de l'oeuvre, je trouve des dizaines de sujets qui auraient mérité d'être creusés et qui ont été abandonnés, des idées assez riches qui n'ont jamais été développées. A certains points de vue, c'est un gâchis. Un gâchis particulièrement frustrant pour le lecteur qui a joué le jeu et investi des heures dans ces bouquins.
Que dire du style ? Là aussi, je m'étonne de ne pas trouver plus de commentaires qui le décortiquent un peu. La narration est souvent incompréhensible, obscure, cryptique, et les dialogues sont improbables et horripilants. Au fil de chacune des conversations, je ne peux pas m'empêcher de me dire que personne ne parle comme ça. Et
Ferdjoukh prend un certain plaisir à embrouiller les pistes, à rester mystérieuse, au point qu'on passe parfois plusieurs pages à se demander : 1) qui, exactement, est en train de parler ? et 2) de quoi parlent-ils, bon sang, c'est incompréhensible ! Avouez, vous tous qui avez attribué 5 étoiles à cette oeuvre, qu'il vous est arrivé souvent de devoir revenir plusieurs pages en arrière pour essayer de comprendre de quoi il peut bien être question dans la scène que vous découvrez ! Est-ce la marque d'un bon bouquin, d'un style efficace, d'une lecture agréable ?
Prenons cet échange :
¬« — Des amis de New York… Jo et Dido. Deux fous ! Comment sont-ils arrivés là ?
— Vous savez, ces chiens de Baskerville sur pneus, climatisés, qui galopent de ville en ville ? J'en ai emprunté un pour 1,15 dollars, c'est très bien (…). »
C'est de la littérature pour jeunes ! Quel jeune va bien pouvoir comprendre cette histoire de « chiens de Baskerville » ? A moins de connaître le mot « hound » en anglais, et l'obscur lien que l'auteure établit entre le monstre d'
Arthur Conan Doyle et les autocars Greyhound, c'est parfaitement cryptique. Une phrase qui fait peut-être plaisir à
Ferdjoukh elle-même (elle gardera sans doute l'idée d'avoir trouvé une idée lumineuse et astucieuse), mais qui laissera perplexe neuf jeunes lecteurs sur dix. Quand chaque page est truffée de détails crispants comme celui-ci, on finit par se poser des questions.
Et à quoi servent tous ces extraits de chansons en anglais ? Ces titres de chapitres qui citent un ou deux vers des classiques de la musique américaine, mais trop souvent sans rapport avec le contenu des pages qui suivent ? La narration constamment interrompue par la retranscription de l'une ou l'autre strophe de paroles des tubes de l'époque ? Honnêtement, qui se casse la tête à les lire, même lorsqu'on est anglophone et pas le dernier des crétins dans le domaine de la musique ? Alors si ça n'apporte rien, à quoi bon ? S'agit-il juste de l'ambition de l'auteure de faire l'étalage de sa cuture (ou d'une recherche ciblée sur Google) des standards radiophoniques des States ? Mais pourquoi, si c'est en vain ?
Enfin, (et là, ce que je suis sur le point de faire n'est vraiment pas cool – vous voilà prévenus, n'hésitez pas à arrêter de lire ma critique ICI), soyons honnêtes… Tous les lecteurs qui ont achevé le volume 1 et qui se lanceront dans les volumes 2 et 3 le feront dans un but bien précis : découvrir enfin LA scène-clé qu'on sent venir et que tout le monde passera les 1200 pages suivantes à attendre en frétillant du plaisir agréable de l'anticipation. Sachez que la scène en question ne sera pas décrite, la narration s'arrêtera juste avant. Vous trouvez ce « spoil » vraiment pas sympa ? Tournez-vous plutôt vers Mme
Ferdjoukh : c'est ce qu'elle nous fait là qui n'est vraiment pas sympa. J'aurais préféré être au courant avant de commencer, j'aurais économisé une petite cinquantaine d'euros et plusieurs après-midis de lecture pour me concentrer sur des textes moins frustrants.