AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La course à l'abîme (74)

En France, « fille aînée de l’Eglise », l’année chrétienne commence le 25 mars, jour de l’Annonciation. En Bavière, le 31 mai, jour de la Visitation. En Espagne, le dimanche de Pâques. Quelque jour qu’on retînt, il fallait choisir une date liée à une fête religieuse.

A ces raisons mon grand-père opposait des arguments économiques. Aligner l’année chrétienne sur l’année civile amènerait la simplification des échanges et faciliterait leurs entreprises aux gens de négoce et de finance. La nécessité d’une telle mesure tombait sous le sens, dans le siècle où Brême n’était plus qu’à une semaine de voyage de Gênes.

« Brême est passée à l’hérésie, objectait ma mère en se signant.

– Justement, l’hérésie gagne dans les pays gouvernés par des armateurs et des marchands, et elle gagne parce que ces pays ont réclamé en vain du pape une réforme du calendrier. D’ailleurs, ajoutait mon grand-père, pourquoi nier l’évidence ? Il y a deux ans que le duc de Milan applique à titre expérimental cette réforme, dont on constate déjà les heureux effets.
[...]
Le Père Antonio Lollio, prédicateur de la Chapelle pontificale, avait fourni l’argument décisif. Il s’était rappelé que Joseph et Marie avaient porté l’enfant Jésus au Temple le huitième jour après la Nativité. Le huitième jour? N’était-ce pas justement le premier jour de janvier? « Vénérons ce très sacré jour de la Circoncision, dont nous pouvons dire qu’il est la porte qui nous ouvre le chemin du Paradis, tout comme il nous ouvre à l’année. »

Paroles pour moi fort obscures. « Circoncision », je ne savais pas ce que c’était, et encore moins pourquoi elle devait nous conduire au « Paradis ». Le Père Lollio se serait exprimé plus clairement, s’il n’y avait eu là-dessous quelque mystère. Pour notre pape Grégoire XIII, une telle énigme n’était pas un sujet d’embarras. Le 24 février, une dizaine de jours avant cette fameuse soirée, une bulle avait proclamé urbi et orbi la réforme du calendrier. La France, l’Espagne, l’Empire des Habsbourg, les diverses monarchies, principautés ou républiques d’Italie, avec tous les Etats qui demeuraient soumis à notre Sainte-Mère l’Eglise, avaient aussitôt fait savoir que, se rangeant à la décision du pape, ils fixaient le début de l’année chrétienne au jour de la Circoncision.

Voilà pourquoi mon grand-père était rentré si gai. Face à la menace luthérienne, l’Eglise s’adaptait au monde moderne. Elle bougeait. Les protestants ne pourraient plus l’accuser de rester immobile. Ma mère hésitait à se réjouir. La religion de l’utile avait prévalu.
Commenter  J’apprécie          00
Quel décor, quel théâtre de tragédie que cette côte, abandonnée des hommes, rejetée de Dieu! Terra di nessuno. J’ai trente-huit ans, l’âge où sont morts Pascal, Van Gogh, Rimbaud. Nous brûlons du même feu. Je cours sur la plage, je demande à être immolé. Une vie consacrée à l’art ne peut être qu’en guerre avec ce qu’il est convenu de respecter. La plupart des artistes s’arrangent avec leur conscience et n’entrent en révolte contre le monde que du peu qu’il faut pour ne pas mettre leur carrière en péril. Un petit nombre seulement, ceux qu’une maligna stella gouverne, refusent tout compromis et signent par un acte extrême leur dégoût radical des accommodements.

Qu’importent l’identité, le nom, les mobiles personnels de celui qui m’a tué ? Il n’a été qu’un instrument. L'agent de la société, si vous adoptez la version du « crime expiatoire », par lequel, même si elle l’a toléré pendant quelque temps grâce au privilège du talent, la collectivité finit par expulser l’élément indésirable. L'instrument de ma propre volonté, si vous admettez que l’assassin n’a fait qu’obéir au souhait de sa victime.

Mais quoi! Crime ou suicide, c’est toujours le mythe romantique. Un peu daté, aujourd’hui, non? Depuis Pouchkine, assassiné en duel à trente-huit ans, et Kleist, qui s’est tiré à trente-quatre ans une balle dans la tête, n’a-t-on rien fait de plus pour devenir « moderne » que mourir à l’âge prescrit par les dieux ?
Commenter  J’apprécie          10
Mon corps, on ne l’a jamais retrouvé. Jeté dans la mer ? Brûlé sur la plage ? Mangé par les fourmis ? Dévoré par les loups ? Ravi par les aigles ? Veillé et emporté par quelque âme pieuse ? Enseveli en cachette puis oublié comme un chien? Les voyous que j’ai si souvent pour les peindre déguisés en anges sont-ils venus me chercher pour m’enlever au ciel ? Un autre, à ma place, se lamenterait. Privé de sépulture! Abandonné sur le sable, condamné à errer dans les limbes, avec les enfants morts sans baptême et les pécheurs privés de rédemption! Moi, au contraire, je m’estime fortuné, de n’avoir ni tombeau ni dalle funéraire. Il me plaît d’échapper aux pèlerinages et aux anniversaires. Je ne veux pas de commémorations posthumes, après avoir été honni et persécuté de mon vivant. Ce fatras d’hommages, gardez-le pour ceux que la renommée publique, les honneurs, la réussite mondaine ont favorisés. Ma mort n’ayant pas été moins mystérieuse que ma vie, l’énigme de ma destinée reste entière.
Commenter  J’apprécie          30
Je vais te dire ce qui cloche dans ton crâne. Ne m'en veuille pas de ma franchise. Tu voudrais occuper toutes les places : celle du Favori et celle du Maudit. Te sentir à la fois l’Élu et l'Exclu... Réprouvé, mais choyé ; traqué, mais à l'abri ; hors-la-loi mais sous haute protection : impossible que tu échappes à cette double fatalité.
Commenter  J’apprécie          50
Etre tué avec éclat, qui s'en plaindrait ? Mais tomber inconnu sous une main anonyme, c'est le sort des veaux.
Commenter  J’apprécie          230
La fidélité est aussi étrangère aux dieux de l'Olympe que l'envie d'être sédentaires à des oiseaux migrateurs .
Commenter  J’apprécie          190
En montrant un homme et une femme de tous les jours, sans appareil intimidant d'anges ni de saints, j'avais réalisé le rêve du peuple, qui est de raccourcir la distance qu'il sent entre la majesté des oeuvres d'art et la bassesse de sa condition.
Commenter  J’apprécie          130
Pour la première fois, dans un tableau, une figure hideuse était rendue au naturel, sans le plus petit début d'idéalisation. Le laid, le laidement vieux, si soigneusement écartés de leurs ouvrages par tous mes prédécesseurs y compris Michel-Ange, firent leur entrée dans les beaux-arts, dont le nom même cessa d'être adéquat.
Commenter  J’apprécie          220
A force de me soupçonner, il créa ce qu'il redoutait. Je le trahis pour de bon, par lassitude d'être accusé à tort.
Commenter  J’apprécie          293
Périzonium ! Ainsi , jusque dans le vocabulaire, on déniait l'évidence ! Périzonium ! Il fallait recourir à cette dénomination pédante, pour éviter de mentionner le sexe de Christ, fût-ce dans l'intention de l'escamoter !
Commenter  J’apprécie          140






    Lecteurs (538) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quelle guerre ?

    Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

    la guerre hispano américaine
    la guerre d'indépendance américaine
    la guerre de sécession
    la guerre des pâtissiers

    12 questions
    3247 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

    {* *}