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Critique de DreamBookeuse


Nola Forever ne parvient pas à détrôner Détroit dans mon p'tit coeur de lectrice mais il y trouve gentiment son chemin. Dernier électrogène paru, les éditions Gulf Stream ont encore une fois publier un roman humain et vibrant. Que ce soit aux sons un peu rock and blues de Détroit ou à ceux plus jazzy de Nola Forever, Fabien Fernandez trouve une fois de plus les sonorités qui me collent les frissons, les petites palpitations cardiaques et l'envie irrépressible d'obtenir le fin mot de l'histoire. Qu'en est-il, d'ailleurs, de cette histoire ?

Mon résumé

Dakota Shakespeare, nom d'emprunt pour l'écriture de ce docu-fiction, vient tout juste d'obtenir son diplôme de journalisme et compte bien trouver une histoire qui vaille la peine d'être racontée quand celle des amoureux de New Orleans lui tombe dessus. Dans une enveloppe, de petites cartes SD contiennent les dernières vidéos de Julian et Roxane (noms d'emprunt également), les deux héros déchus de cette sordide affaire.

Leurs familles se vouent depuis des années une haine sans borne, de procès en tapages médiatiques, elles s'affrontent sur le devant de la scène. Julian, lui, est féru de cuisine, passion transmise par ses parents, seule chose qu'il retirera de bénéfique de sa famille. Roxane, elle, s'est lancée dans l'apprentissage de la langue française. Ils n'étaient pas faits pour se rencontrer… ou peut-être que si, tout compte fait.

Roméo et Juliette des temps modernes, tout le monde semble être contre eux : les parents, les journalistes, les assassins d'internet qui mitraillent de leurs mots. Pourtant, dans l'ombre, de petites mains s'agitent pour les aider, les choyer, les pousser en avant. Mais cela sera t-il suffisant ? Pas si l'on en croit cet hommage vibrant dans ce coin paumé où leurs corps n'ont jamais été retrouvés mais où trônent désormais un panthéon à Cupidon.

Mon avis

Fabien Fernandez a dû être journaliste dans une autre vie puisque nous retrouvons une nouvelle fois un protagoniste enquêteur, fouineur et perturbateur dans Nola Forever. Ou plutôt UNE puisqu'il s'agit cette fois-ci d'une femme en tant que personnage principale de cette enquête au rythme fou. Reprenant une narration à trois voix, l'auteur nous fait découvrir celle de Dakota Shakespeare déterminée à découvrir ce qu'il s'est passé et à faire connaître la vérité ; celle de Julian, amoureux fou de la jeune fille de riche aux goûts littéraires irréprochables ; et celle de Roxane, tombée sous le charme du beau serveur en livré que Julian interprétait à une soirée.

On sent que Shakespeare a fait son oeuvre et qu'encore aujourd'hui l'amour avec un grand A fait fantasmer bien des coeurs amoureux. Alors quand ces deux là y arrivent, à ce fameux A, on a qu'une seule envie, qu'ils puissent le vivre en paix ! Je ne vais certainement pas vous dire « mais non, ce roman n'est pas cliché », ce serait tout de même vous mentir, par contre ce que je peux vous dire c'est « oui c'est un cliché, mais c'est aussi bien plus que cela » puisque Fabien Fernandez évite avec brio et finesse le roman à l'eau de rose pour nous livrer une fiction originale, punchy et jazzy.

D'abord il y a l'écriture bien sûr, c'est peut-être la chose qui m'a frappée le plus, l'écriture et la construction. Chaque chapitre de Julian et Roxane commence avec une « retranscription vidéo », une description pure et simple de ce qui se passe derrière la caméra, et si cette retranscription empiète parfois sur le texte principal c'est pour mieux nous permettre de nous y fondre, happés par le côté « réel » de ce qui s'y passe. le roman qu'écrit Dakota, et que nous lisons (même s'il m'a fallu quelques pages pour le comprendre) comporte également de nombreuses annotations. Cela m'a énormément fait penser aux jeux vidéos, et connaissant les passions de l'auteur pour le role play il est possible qu'il ai été influencé par ceux ci. En effet lorsque vous trouvez une vidéo dans un jeu, que le personnage la visionne, il n'est pas rare que votre personnage la commente, avec cette voix qui vous est toute proche, et toute familière. C'est exactement l'impression que me donnait ces passages à leur lecture, d'avoir une voix off pour me souffler les quelques éléments que je n'aurais pas compris autrement. L'impression aussi de lire un documentaire. Cet effet de style aurait pu paraître ennuyeux si l'auteur s'en était contenté.

Au lieu de cela il nous permet de très nombreuses pauses dans le récit pour suivre Dakota dans ses pérégrinations réelles en quête de la vérité : filature, interrogatoires, rencontres dans les cafés, photographies clandestines, tout est bon pour aller au fond des choses…tant est si bien que l'on croirait lire un roman…dans le roman. Une mise en abîme d'autant plus réussie avec la fin dont je ne peux malheureusement rien vous dire, mais qui est tout simplement GRANDIOSE.

Alliez à ce procédé original de nombreuses citations d'Othello, de Roméo et Juliette, le Songe d'une nuit d'été en plein milieu des discours des personnages et vous obtiendrez une production décalée, rythmée et fantasque. Alors bien sûr il n'y a pas que la forme qui fait la beauté et la puissance de cette réécriture il y a aussi le fond, plus poussé, bien sûr, que dans le Roméo et Juliette de Shakespeare, et qui tire partie de nos vices contemporains, mais c'est réellement ce feuilletonisme romanesque qui m'a embarquée dans cette histoire.

A l'intérieur de son texte, l'auteur glisse de très nombreuses petites « leçons ». Pas de sentences morales ni d'exigences mais plutôt des réflexions, des interrogations, des situations qui amènent le lecteur à se questionner pouvant même parfois effectuer un petit pas chassé entre théologie et philosophie. Glissées çà et là, je les ais d'autant plus appréciées qu'elles n'étaient pas omniprésentes mais soulignaient des faits de société graves, sinon à conséquences parfois mortelles : la viralité des réseaux sociaux, l'acharnement psychologique des journalistes, les mariages arrangés, l'écologie, le féminisme (à ce gros porc dans cette sale de gym que j'aurais bien aimé qu'Ashley mette KO !), le racisme et j'en passe ! Sans se donner le rôle du bon samaritain Fabien Fernandez glisse son avis et ses convictions dans tous ses ouvrages et ça j'y suis particulièrement sensible (coucou aux graffitis dans Détroit) ! Mais abordons un peu les personnages…

Dans ce roman qui ne compte que trois voix il y a pourtant de très nombreux personnages qui viennent s'y mêler, s'y perdre, et s'y épanouir. J'admire la façon dont, en quelques lignes, sous les interrogations croissantes de Dakota ou dans la franche camaraderie de Julian, des dizaines de personnages se créent, se façonnent pour former une fresque profonde et humaine. Pour moi, une bonne histoire ne se joue pas que dans les personnages principaux, mais vraiment dans ce tumulte, cette multitude qui va se mouvoir autour d'eux, les rendre meilleur, les avilir, les faire grandir. Ce sont eux, les autres, qui vont leur donner leur profondeur, leur âme. Je ne sais pas si l'auteur est du même avis toujours est-il qu'il me livre un roman parfait en ce sens ! 🙂 Petit bémol je trouve Roxane trop peu présente. Bien sûr elle est là tout le long du roman, à travers Julian, mais j'ai trouvé qu'il manquait quelque chose, un truc, du temps, des pages, que sais-je pour la rendre plus tangible. Mais puisque c'est là son seul défaut, il est parfaitement acceptable !

Et puis il y a la ville, New Orleans, que je ne connais que de loin pour le vaudou, le jazz, et le Mississippi, pour ses apparitions dans des séries télévisées qui ne sont qu'une vérité de cette ville qui s'ouvre ici autrement : par sa musique, par sa poésie et par sa nourriture. J'en aurais presque le goût chaud et épicé sur la langue. Même si nous sommes bien loin de Motor City et de Détroit dans son traitement j'aime cette façon dont l'auteur tire parti de la ville, de ses murs et de ses briques pour nous en livrer l'intérieur, les personnages et leurs intrigues.

Seul bémol : la fin a été pour moi trop évidente, même si j'ai bien aimé comprendre comment tout avait été fait (vous comprendrez cette phrase sibylline en lisant Nola Forever, pas le choix !)

En résumé

Nola Forever est une réécriture addictive du Roméo et Juliette de William Shakespeare. Avec sa forme si particulière, à mi chemin entre le documentaire et le récit journalistique, et son écriture si accrocheuse entre théâtre et poésie, Fabien Fernandez frappe encore un grand coup dans l'écriture du roman young adult. Si la fin se devine un peu trop, on prend plaisir à suivre les deux tourtereaux dans leurs aventures et Dakota dans sa quête profonde et humaine de la vérité. Peut-être est-ce même cela, le sujet véritable du roman : la vérité, et l'amour.
Lien : https://lesdreamdreamdunebou..
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