La Mère d'Eva ou un plongeon de 218 pages dans les entrailles d'une mère.
Une mère qui souffre de voir son enfant refuser le corps qu'elle lui a offert mais qui, plus que tout, aimerait son bonheur.
Alors qu'elle attend près du bloc opératoire que sa fille Eva subisse l'opération qui la fera devenir Alessandro, elle se souvient…
Elle se souvient de ces dix-huit dernières années passées à côté de cette enfant, ensemble, liées, déchirées, ennemies et si proches à la fois. Elle se remémore sa grossesse et la maternité comme l'entrée en fanfare de la peur dans sa vie, une peur qui ne la lâchera plus. Et elle conte. Elle conte comment cette petite fille qu'elle a fabriquée méticuleusement pièce après pièce dans son ventre, ce tout petit enfant que la nature a assignée fille, a rejeté dès le plus jeune âge ce corps qui était le sien.
Cette fiction, que l'on pourrait penser autobiographique tellement le récit et les émotions y sont précis, traite d'un sujet important : celui de la dysphorie de genre (ndlr : quand le genre et le sexe assignés à la naissance ne correspondent pas à l'identité de genre dans lequel se reconnait la personne, ce qui induit une grande détresse). Généralement, les fictions sur ce thème sont centrées sur le personnage qui découvre, vit et évolue avec sa transidentité. Or ici nous sommes plongés dans le coeur de cette mère, dont l'enfant qu'elle a mis au monde est le prolongement de son être et décuple sa souffrance.
Les avis sont unanimes : cette introspection maternelle est criante de courage et d'amour.
Je crois que, parce que je suis encore fille, et non mère, je n'ai réussi à m'identifier que difficilement à ce « je » qui a donné la vie. Cette mère que j'ai sentie aimante, désespérée et impuissante mais dont la violence des mots – bien que compréhensible – m'a souvent heurtée.
« Si tu veux te faire démembrer à dix-huit ans pour changer de sexe, je t'emmènerai au bout du monde pour le faire et j'attendrai assise dehors que tout se passe. »
Et parce que « Dieu n'est plus avec [eux] » et que « la malédiction a frappé », comme un ver qui lui ronge le cerveau, cette mère ose enfin dire toutes ces choses qui lui ont fait horreur. Elle déverse sans filtre pour apaiser sa peine et ses souffrances et elle détaille chaque geste de l'opération que son enfant est en train de vivre, comme pour se convaincre que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve. Au fil du récit on la voit évoluer, passant de l'horreur au déni, à la résignation, pour finalement essayer de composer au mieux dans un mélange explosif de ces émotions aspirant finalement à la paix intérieure, pour elle et son enfant.
En refermant ce roman, très bien écrit mais étouffant, je suis partagée. J'éprouve beaucoup d'empathie pour cette mère et toutes les souffrances par lesquelles elle a pu passer mais, d'une certaine manière, je trouve presque inconvenant que les projecteurs aient été braqués sur elle.
Je l'ai détestée de cette violence déversée sur sa fille, témoignage des difficultés d'acceptation que vivent les proches des personnes transgenres, et je l'ai à la fois admirée de n'avoir jamais quitté le navire et d'avoir, malgré la souffrance ressentie, accompagné son enfant jusqu'au bout de sa transition.
Merci à Babelio et aux Editions
Hervé Chopin pour ce plongeon au coeur de la complexité et des tourments de l'Humain.