Astérix et la Transitalique est le 3ème album d'Astérix conçu et réalisé par l'équipe
Jean-Yves Ferri (au scénario) et Didier Conrad (au dessin). L'album sort en 2017, soit deux ans après le Papyrus de César. le rythme de croisière semble être atteint avec la parution d'un album tous les deux ans au mois d'octobre.
Ce troisième album tient-il ses promesses ? En raison du titre, on peut craindre que le scénario ne reste dans une zone de confort, et ne prenne pas trop de risques en empruntant un chemin balisé. le tour d'Italie ne rappelle-t-il pas un précédent Tour de Gaule ? Les premières pages rassurent, l'assemblée du Sénat, à Rome, aborde pour une fois un sujet différent de celui du petit village qui résiste encore et toujours aux légions romaines. Critiqué sur la gestion des voies romaines, le sénateur Lactus Bifidus propose l'organisation d'une course de chars à travers la péninsule, afin de démontrer la qualité de la voirie dont il a la charge.
Sans parvenir à atteindre la finesse du trait d'
Uderzo, les dessins de Conrad se stabilisent et restent d'un niveau acceptable, auquel on finit par s'habituer. Plusieurs images de grandes tailles, assez compliquées à réaliser, comportant bagarres, chars et chevaux en pagaille, indiquent qu'il n'y a aucun refus d'obstacle de la part du dessinateur (pages 10, 11, 13, 17 et 32 notamment).
Quelques jeux de mots bien trouvés parsèment l'album : « Avé, Bifidus, et sois actif ! » (page 4) ; « Ils penchent tous comme ça, les Italiques ? » (se demande Obélix à propos d'un gondolier avachi sur sa rame, page 19) ; « – Par Zeus, le Sarmate, tu insinues que c'est moi qui ai versé de l'huile d'olive sur la voie ?! – En tout cas, c'est ma première impression, à froid ! » (page 21) ; « Il repasse les deux Koushs » (jeu de mots sans bavure, page 23) ; « Da, jouons collectif par Marx ! » (signalé comme le dieu Mars en langue sarmate, page 32). Ils avoisinent d'autres jeux de mots plus basiques tels que : « Oui, Partons par Tyr ! » (page 15) ; « Amphoré ! » (page 18) ; « Ah ? J'ignorais qu'on pouvait déplacer les bornes… » (page 19) ; « Capri, c'est fini ! » (page 37) ; « Nous faisons partie de sa collection de Cimbres » (page 34) ou encore « Je n'aime que la mosaïque classique » (page 42). Les calembours fusent, nous sommes ici dans la grande tradition de Goscinny !
Le comique de situation n'est pas absent du récit, notamment lorsqu'il s'agit de mettre en scène les facéties d'Obélix. Par exemple lorsqu'il observe sa main pendant plusieurs cases, ne comprenant pas comment la sibylle a pu y lire son avenir (page 5) ; quand il gesticule pour attirer l'attention de la serveuse qui lui apporte les deux sangliers ail-romarin (page 29) ; quand il goûte au garum Lupus à ses risques et périls ou encore quand il assiste à la remise d'une somme d'argent à Bacillus, en échange d'une malversation, sans en comprendre la portée et en ne retenant que le choix bizarre à ses yeux du poids en garum plutôt qu'en sangliers (page 30).
Les clins d'oeil culturels concernant les régions traversées sont systématiques. On peut citer par exemple : le départ de la course à Modicia (Monza), où se déroule de nos jours le Grand Prix d'Italie de Formule 1 (page 11) ; à Venexia (Venise), la fête où « tout le monde sera déguisé », évoquant le célèbre carnaval (page 19) ; à Parma (Parme), le jambon découpé en fines tranches (page 22), les sièges et les braies conçus par un « très bon artisan de Mediolanum » (Milan), capitale mondiale de la mode et du design (page 21) ; à Florentia (Florence), où selon Panoramix, qui est cité par Astérix, « devant tant de beauté, on peut éprouver des vertiges et des sueurs froides », et c'est justement ce qui arrive à Idéfix, subitement atteint par le « syndrome
De Stendhal », une mésaventure arrivée à l'écrivain de passage à Florence en 1817, lors de son voyage en Italie (page 26) ; la Joconde à sa fenêtre, qui suit des yeux Astérix (page 26) et
Léonard de Vinci lui-même vu dans la foule (page 24) ; passant près de Pisae (Pise), Obélix aperçoit au loin une tour qui penche (page 27) ; à Sena Julia (Sienne), la terre de Sienne, donne sa couleur rouge à l'attelage d'Obélix et Astérix (page 27), avant qu'ils ne rejoignent une place en forme de coquille évoquant la célèbre Piazza del Campo et suggèrent aux spectateurs l'idée de la course du Palio (page 28) ; à Tibur (Tivoli), nos héros apprécient l'ancêtre de la pizza napolitaine (page 39) ; enfin, à Néapolis (Naples), la ville d'arrivée, on aperçoit le Vésuve qui ne tarde pas à éjecter une bombe volcanique aussitôt renvoyée à l'expéditeur par Obélix qui rebouche ainsi le cratère. le volcan ne se réveillera que lors de la célèbre éruption de 79 après J.-C. pour ensevelir Pompéi et Herculanum (page 43).
L'ensemble de ces péripéties rappelle bien sûr le Tour de Gaule d'Astérix avec son circuit touristique et gastronomique, raconté dans un album sorti en 1965, soit cinquante-deux ans plus tôt. La route est toute tracée et l'enchaînement des étapes entraîne le lecteur dans un scénario prévisible et un peu répétitif. Obélix, toujours lucide, ne s'y trompe pas : « C'est bien, c'est un peu comme un voyage organisé ! » (page 23).
La création de caricatures de personnes célébrités reste un passage obligé dans la réalisation de tout nouvel album, qu'il convient de réussir tant au niveau de la ressemblance qu'un niveau de la pertinence avec la prise en compte du rôle et du contexte. Dans cet album, Alain Prost, pilote automobile, dans le rôle de Testus Sterone, alias Coronavirus, est un aurige crédible. Je me suis demandé quel jeu de mots mystérieux se cachait sous l'appellation « le champion aux MCDLXII victoires » (page 13). C'est une référence à Gaius Appuleius Diocles, l'un des plus fameux auriges de l'Antiquité, qui en 24 ans de carrière, participe à 4 257 courses et réalise 1 462 victoires.
Moins visibles mais néanmoins présents, apparaissent
Jean-Jacques Bourdin, les soeurs Williams,
Roberto Benigni,
Bud Spencer, Luciano Pavarotti,
Léonard de Vinci, Mona Lisa,
Monica Bellucci,
Sophia Loren et Silvio Berlusconi. Leurs apparitions se justifient en raison de leur qualité de journaliste, de sportif, d'homme d'affaires ou plus simplement de ressortissant italien.
Enfin, les observateurs les plus aguerris auront pu noter (page 19) une borne dans la région de Venise indiquant la ville d'Oderzo, qui serait à l'origine du patronyme d'
Uderzo.
Cependant, malgré l'accumulation de références et de clins d'oeil, la trame du scénario de cet album n'offre que peu de rebondissements ou de réel suspense pouvant retenir l'attention du lecteur. le parcours tout tracé est matérialisé par la carte présentée page 8, où même les erreurs de trajet sont annoncées. On devine dès le départ qu'Obélix et Astérix vont remporter la course, d'ailleurs, contrairement au scénario d'Astérix aux Jeux Olympiques, la potion magique de Panoramix n'est pas explicitement interdite pendant l'épreuve. Les méchants ne sont que des méchants de pacotille, pas bien dangereux, et l'enjeu est peu risqué, nous ne sommes pas dans la configuration déjà plusieurs fois rencontrée où la survie du village est en jeu. Un réel effet de surprise aurait pu être mis en scène au moment où le mystérieux Coronavirus retire son masque et dévoile son identité. Cet épisode tombe malheureusement à plat, la caricature d'Alain Prost ne parvient pas à convaincre de l'intérêt d'avoir masqué l'aurige pour cacher Testus Sterone, un personnage dont personne n'a jamais entendu parler. C'est réellement une occasion manquée et une faute de scénario. César est magnanime, voire chevaleresque, il se ridiculise à la fin de l'album en prenant les rênes en main et en perdant la course, puis il remet lui-même la coupe à Obélix devant le peuple de Rome, soulignant ainsi l'échec de son plan. On a connu un Jules César plus combattif et plus coriace.
Les clins d'oeil et les caricatures sont les ingrédients indispensables à tout bon Astérix, mais leur profusion ne doit pas masquer la faiblesse du scénario. Cet album montre volens nolens que le génie créatif de Goscinny reste décidément difficilement dépassable. Certains lecteurs ne sont toujours pas convaincus de la remontée du niveau de la série. La tâche est difficile, les sources d'inspiration se tarissent et la demande d'innovation reste forte. Cependant, cette demande est paradoxalement associée à un besoin de repères qui rassurent le lecteur. Au moins, les deux auteurs de la nouvelle équipe parviennent à éviter les excès et les errements d'un
Uderzo en fin de règne.