Ce qui humanise les hommes, ce n'est pas seulement la domestication de la bête, c'est aussi la lutte avec l'ange. Il arrive que la sincérité soit une forme de vandalisme et il faut parfois pour bien agir ne pas universaliser la maxime de son action. Voilà la réponse d'Anna au philosophe de Königsberg [Kant]. C'est également la réponse de Bergman et à travers lui, celle de la littérature.
En donnant au thème amoureux une place prépondérante et même centrale, cette civilisation a favorisé l’apparition d’un type humain particulier, l’homo sentimentalis, l’homme sentimental ou, plus précisément, l’homme qui révère ses sentiments et son moi sensible. Bref, nous avons, nous autres Européens, redoublé l’amour par l’amour de l’amour au risque de substituer celui-ci à celui-là. (…)
Comme le grand Aragon à qui la femme de sa vie écrit sur le tard une lettre bouleversante avec ces mots terribles : “le plaisir normal de faire quelque chose ensemble, tu ne le connais pas” et surtout : “même ma mort, c’est à toi que cela arriverait”. Tout à sa folie, le fou d’Elsa oublie Elsa. C’est son désir qu’il désire. C’est son sentiment qu’il adore. L’amour de l’amour a effacé la destination de l’amour.
Avec Freud, le deuil n'est plus mélancolique mais remède à la mélancolie.
Cette nouvelle définition a été unanimement adoptée. La leçon a même été si bien entendue, le cours freudien d'économie libidinale si parfaitement assimilé qu'à chaque accident, à chaque tragédie, à chaque procès criminel, les survivants piaffent, les familles des victimes réclament impatiemment, hargneusement, de pouvoir "faire enfin leur deuil". Et l'on fait son deuil aujourd'hui comme on fait ses besoins. On se vide, on se déleste du mort, on l'évacue afin de réintégrer, dans les meilleures conditions et dans les plus brefs délais, le monde trépidant des vivants.
Une compassion qui n’est pas la pitié condescendante ou confortable pour l’être souffrant mais la faculté singulière de ressentir, comme si elles étaient les siennes, toutes les émotions de l’autre, d’être touché dans sa chair par ses joies, ses maladies, ses chagrins. (p.117-118)
Kundera définit le roman comme l'art ironique.Et quel est l'objet par excellence de son ironie de romancier? L'amour.
Freud nous a appris à considérer le deuil non comme l’état d’affliction provoqué par la mort d’un proche mais comme le travail précisément destiné à nous sortir de cet état. « Je crois, écrit Freud, qu’il n’y aura rien de forcé à se représenter le travail qu’accomplit le deuil de la façon suivante : l’épreuve de réalité a montré que l’objet aimé n’existe plus et dicte l’exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet. » Ainsi, après avoir achevé le travail du deuil, « le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le prince d’Aquitaine à la tour abolie » redevient libre et sans inhibitions. Avec Freud, le deuil n’est plus mélancolique mais remède à la mélancolie.
Cette nouvelle définition a été unanimement adoptée. La leçon a même été si bien entendue, le cours freudien d’économie libidinale si parfaitement assimilé qu’à chaque accident, à chaque tragédie, à chaque procès criminel, les survivants piaffent, les familles des victimes réclament impatiemment, hargneusement, de pouvoir faire enfin leur deuil. Et l’on fait son deuil aujourd’hui comme on fait ses besoins. On se vide, on se déleste du mort, on l’évacue afin de réintégrer, dans les meilleures conditions et dans les plus brefs délais, le monde trépidant des vivants.
Aucune catastrophe ne vient troubler son bonheur sinon la catastrophe annoncée du désir.
Alliée à l'ambition, la galanterie n'est plus la courtoisie, mais séduction, simulation,stratagème.
Il est émerveillé non par le sentiment qui l’habite, mais par elle et par le monde que sa présence illumine. (p.89)
Il porte, pendant l’idylle, le deuil de l’idylle. L’ivresse des commencements à peine dissipée, il voit le mot “fin” s’inscrire. Tout ce qui est plaît, or ce plaisir est gagé sur le désir et le désir inexorablement retombe. L’été, c’est déjà l’automne.