La Chute des géants a tout pour plaire, et pas seulement aux lecteurs qui ont apprécié [...]
les Piliers de la Terre et
Un monde sans fin : une flopée de personnages au caractère marqué, un contexte historique à la véracité enrichie de nombreux détails, des passions capables de déplacer des montagnes mais contrariées par des pressions familiales ou politiques, il y a tout cela dans cet ouvrage, et c'est perceptible dès la 4e de couverture. Mieux : au lieu d'un conflit majeur mais trop méconnu par son antiquité [...], on nous expose ces amours et désamours en travers de la Grande Guerre, la der des ders !
Follett affiche son ambition de retranscrire au travers d'une sélection pointue d'individus entiers, tourmentés, rigides ou révolutionnaires la façon dont notre civilisation a basculé irrémédiablement, bouleversant les anciens ordres établis et plombant l'avenir sous la menace permanente d'une déflagration universelle.
[...]
Or, on déchante. Et vite.
D'abord parce que le savoir-faire qui permet à tous ces héros de se retrouver mêlés de près ou de loin aux événements politiques préalables à l'entrée en guerre de l'Allemagne, de l'Angleterre et de l'Amérique ou à la chute du régime tsariste ne s'avère rient d'autre que ce qu'il est : un mécanisme, habile certes, mais indubitablement artificiel, rendant la lecture de ces chapitres largement moins palpitante qu'elle aurait pu l'être. Certes, on s'émeut volontiers de la condition exécrable des mineurs gallois (sur)exploités ou du combat permanent (qu'on sent vain) de ces femmes au caractère bien trempé qui cherchent à se faire entendre au niveau du gouvernement –
Follett semble d'ailleurs toujours avoir été fasciné par les personnages de femmes modernes construisant sur les vestiges de leurs malheurs la volonté inébranlable de créer un monde meilleur (on retrouve un peu de Caris chez lady Maud). Mais on déchante vite lorsqu'on tombe sur ces péripéties laborieuses censées rythmer le roman autrement que par la cadence des faits de guerre : ainsi, comment faire progresser l'intrigue liée à lord Fitzherbert ou aux frères Pechkov ? Facile ! Il suffit qu'ils mettent enceinte la femme avec laquelle ils couchent. le procédé, s'il fait sourire au départ, devient vite répétitif et agaçant : on se doute bien que les rejetons de nos protagonistes leur joueront des tours plus tard. D'autant que les scènes un peu lestes dans lesquelles se complaît l'auteur de
l'Arme à l'oeil deviennent ici autant de passages obligés, en perdant du coup leur pouvoir érotique.
Et c'est bien là que le bât blesse. En dehors de quelques passages où l'écrivain gallois parvient encore à transcrire la flamme qui anime les amants maudits (le couple Maud/Walter jouissant des plus belles scènes avec leur liaison secrète), et de quelques piques bien senties envers l'establishment conservateur, seul l'intérêt historique anime le reste de l'ouvrage et on se contente de suivre d'un oeil distrait l'ascension et la chute de Lev aux Etats-Unis ou le destin d'Ethel, féministe avant l'heure. Sans déplaisir, mais sans vraiment de surprise non plus. L'historien de formation que je suis a su néanmoins se réjouir de la masse d'informations distillée avec maestria, tout en pestant contre une traduction parfois douteuse [...] et surtout la présence de coquilles inhabituelles à ce niveau d'édition [...].
Saluons tout de même la présentation du livre : quoique épais et volumineux, sa couverture légèrement veloutée, si elle est sensible aux traces de doigts, s'avère très agréable au toucher et résistante au transport. le visuel en ombres chinoises, bien que discret, est réussi.
Une déception donc, à la hauteur des promesses.
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