On peut croire à une chose et, en même temps, ne pas croire en elle. L'esprit fonctionne simultanément selon diffé- rents programmes aux convictions incompatibles, voire carrément antagoniques. J'irai jusqu'à dire que c'est à cette seule condition que l'on échappe à la vraie folie, entretenant en soi plusieurs esprits de manière que l'on puisse, en cas de nécessité, en changer à sa guise et que, quelque part dans le cerveau et sans pour autant que soit menacé l'équilibre rationnel de celui-ci, on puisse trouver parfois le refuge absurde d'une conviction paral- lèle qui vous permet de supporter la réalité telle qu'elle est en vous figurant qu'elle est en même temps autre que ce qu'elle est.
Car un objet sans propriétés n'est guère davantage que le fameux couteau sans lame auquel il manque le manche.
Et le réel porte le deuil de tous les possibles puisqu’il n’existe que pour avoir procédé à leur sacrifice.
Pour chacun, il y a des actes que l'on sait nécessaires mais pour lesquels le cœur manque. Alors, par lâcheté, on remet la tâche à plus tard, pensant sans se l'avouer vraiment qu'on la laisse aux suivants, qu'ils s'en débrouilleront. Et même lorsque, comme c'est le cas, on sait qu'il n'y aura pas de suivants. S'en remettant alors, faute de mieux, aux éboueurs pour qu'un jour, après que le dernier est mort et que le mot de la fin est dit, ils fassent le sale boulot de l'oubli à votre place.
Comme si : c'est le mot des savants; c'est celui des enfants et celui des poètes, aussi. Tout se passe comme si ce monde dans lequel nous vivons était à la fois le même et un autre, contenu dans la boîte obscure où, comprimées, se tiennent toutes les virtualité de la vie de sorte que chaque chose et son contraire y sont côte à côte à leur place. Un conte ? Il était une fois. Plutôt : il était deux fois. Et puis deux fois deux fois. Ainsi à l'infini, le même vieux récit se multipliant dans la nuit de toujours tant que quelqu'un se trouve là qui lui accorde la créance qu'il faut pour que s'éparpille partout le perpétuel pluriel de tous les possibles.
J’en parle et du coup je donne une importance excessive à ce qui n’avait en vérité pas plus de portée qu’une manie passagère et inoffensive.
Ironiquement, d’ailleurs, aux yeux des autres, je passais pour quelqu’un d’assez occupé. Il suffit souvent de peu pour produire une telle illusion. Et rien n’est plus facile que de se tenir ensuite caché à l’abri de celle-ci, dissimulant derrière une affectation d’agenda très chargé le fait qu’en fait on ne fait rien. Ce qui, inexplicablement, constitue d’ailleurs aussi une activité à temps plein.
Je prêtais attention à des riens : la forme fuyante d’un chat passant dans le fond du jardin avec autour de lui tout un mouvement d’ombres circulant parmi les choses et finissant par concerner tout le contenu de la création.
La sieste est le moment que les songes préfèrent. L'heure qu'ils choisissent pour vous rendre visite. Celui qui dort flotte, suspendu parmi des milliers de monde emmêlés à la consistance si fugitive qu'ils se confondent dans sa conscience sans qu'il y ait aucun moyen de les distinguer. Le grand tournis du possible.
L'histoire, quand on en prend conscience, a toujours déjà commencé.