Citations sur Le chat de Schrödinger (46)
On ne sait jamais quand une histoire débute. À défaut, on la fait commencer avec le dernier récit raconté. Sans même imaginer que celui-ci prend la suite d'un autre, et puis d'un autre avant lui, et qu'il s'insère ainsi comme un élément parmi d'autres encore dans la série de tous les précédents. Par manque de mémoire ne se représentant pas tout ce qui a été auparavant. Depuis très longtemps. Remontant aux temps originels dont parlent les légendes.
L'histoire, quand on en prend conscience, a toujours déjà commencé.
La sieste est le moment que les songes préfèrent. L'heure qu'ils choisissent pour vous rendre visite. Celui qui dort flotte, suspendu parmi des milliers de monde emmêlés à la consistance si fugitive qu'ils se confondent dans sa conscience sans qu'il y ait aucun moyen de les distinguer. Le grand tournis du possible.
Extrait :
«Attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est, dit-on, la chose la plus difficile qui soit. Surtout s'il n'y en a pas.
Je veux dire : surtout s'il n'y a pas de chat dans la nuit où l'on cherche.
Ainsi parle un vieux proverbe chinois à la paternité incertaine. Du Confucius. Paraît-il. J'aurais plutôt pensé à un moine japonais. Ou bien à un humoriste anglais. Ce qui revient à peu près au même.
Je crois comprendre ce que cette phrase signifie. Elle dit que la sagesse consiste à ne pas se mettre en quête de chimères. Que rien n'est plus vain que de partir à la chasse aux fantômes. Qu'il est absurde de prétendre capturer de ses mains un chat quand nul ne saurait discerner, même vaguement, sa forme absente dans l'épaisseur de la nuit. »
Comme si : c'est le mot des savants; c'est celui des enfants et celui des poètes, aussi. Tout se passe comme si ce monde dans lequel nous vivons était à la fois le même et un autre, contenu dans la boîte obscure où, comprimées, se tiennent toutes les virtualité de la vie de sorte que chaque chose et son contraire y sont côte à côte à leur place. Un conte ? Il était une fois. Plutôt : il était deux fois. Et puis deux fois deux fois. Ainsi à l'infini, le même vieux récit se multipliant dans la nuit de toujours tant que quelqu'un se trouve là qui lui accorde la créance qu'il faut pour que s'éparpille partout le perpétuel pluriel de tous les possibles.
"Quand je lis un livre sur la physique d'Einstein auquel je ne comprends rien, ça ne fait rien: ça me fera comprendre autre chose"
Picasso
On peut croire à une chose et, en même temps, ne pas croire en elle. L'esprit fonctionne simultanément selon différents programmes aux convictions incompatibles, voire carrément antagoniques. J'irai jusqu'à dire que c'est à cette seule condition que l'on échappe à la vraie folie, entretenant en soi plusieurs esprits de manière que l'on puisse, en cas de nécessité, en changer à sa guise et que, quelque part dans le cerveau et sans pour autant que soit menacé l'équilibre rationnel de celui-ci, on puisse trouver parfois le refuge absurde d'une conviction parallèle qui vous permet de supporter la réalité telle qu'elle est en vous figurant qu'elle est en même temps autre que ce qu'elle est.
Pour chacun, il y a des actes que l'on sait nécessaires mais pour lesquels le cœur manque. Alors, par lâcheté, on remet la tâche à plus tard, pensant sans se l'avouer vraiment qu'on la laisse aux suivants, qu'ils s'en débrouilleront. Et même lorsque, comme c'est le cas, on sait qu'il n'y aura pas de suivants. S'en remettant alors, faute de mieux, aux éboueurs pour qu'un jour, après que le dernier est mort et que le mot de la fin est dit, ils fassent le sale boulot de l'oubli à votre place.
Les seules choses qui existent sont celles auxquelles, à un moment ou à un autre, on a décidé de croire.
Il vient un moment dans la vie- et sans doute est-il différent pour chacun- où l'on se retrouve à la merci du plus petit des chagrins. N'importe quelle peine se met à valoir pour toutes les autres : celles que l'on a déjà connues comme celles dont on sait qu'elles finiront par venir.