Un couple aisé. Un père professeur universitaire qui se partage entre Paris et Londres. Une mère attentive et aimante. Une fillette de trois ans victime d'un cancer foudroyant. Une année de calvaire pour cette famille désemparée. C'est le père qui rapporte cette longue agonie. C'est également l'auteur de ce qui n'est pas qu'un roman mais un compte-rendu et une réflexion terrible qui pourtant laisse entrevoir l'espoir et l'humanité.
Même si la mort n'efface pas toute la beauté du monde, elle la rend seulement inutile et la tourne en splendeur vaine*, force est de constater que l'auteur ne reste pas figé face à l'absurdité de nos existences. Il fait de sa fille un être de papier*, transformant son bureau d'écrivain en théâtre d'encre où se jouaient encore ses aventures inventées*.
Paradoxalement, il fixe dans le souvenir collectif autant que dans son propre souvenir magnifié la brève et lumineuse existence de sa fille. Une longue incursion établit une concordance avec deux pères célèbres (Hugo et Mallarmé) qui ont également perdu un enfant (Léopoldine et Anatole). Leurs écrits racontent la même douleur face à l'insoutenable et cruelle perte du corps aimé qui disparaît*, ressentie par ceux qui survivent et fabriquent des rituels d'illusion*, invoquant ainsi les morts*, les rappelant vaguement au monde pour qu'ils les accompagnent sans fin de leur ombre*. L'écriture est l'un de ces rituels de dérision*.
Mais pour l'auteur, la page n'est pas l'apothéose vide des vivants et des morts car chaque phrase est un refus et le cadavre appelle la révolte*. Il rappelle combien écrire est un travail modeste*, un sauvetage inutile dans le désastre du temps* où l'on pourra seulement conserver l'épave d'un instant, d'un geste, d'un mot*…
Il est des moments où celui qui ne croit pas va susurrer une prière, ou chuchoter à l'oreille de celle qui ne peut plus entendre tout l'amour qu'on a pour elle… Ces actes dérisoires sont dictés par l'amour voué à l'être cher qui disparaît. Ce sont autant de tentatives pour refuser ce destin insoutenable, cette perte inconsolable.
Philippe Forest nous entraine avec habileté, poésie et lumineuse réflexion à la frontière qui sépare le monde des vivants du monde des morts. Avec tact et retenue, mais avec toute la conviction d'une juste révolte, il montre l'absurdité de nos existences qui passent l'effet d'un instant.
Le temps est l'ennemi du vivant et il est impitoyable, par son phénomène d'érosion, menant chacun de la naissance à la mort : La vie est un manga, c'est certain. le sublime n'y va jamais sans le grotesque. On passe sans cesse du tragique au bouffon. La grande guerre stellaire de l'Ombre et de la Lumière, de la Mort et de la Vie, ce sont des personnages de comédie qui la livrent*.
Il faudrait que ces enfants malades jamais ne vieillissent pour les préserver des sales tours que nous joue la loterie du Temps et de la Vie. A l'instar des personnages de Peter pan où les enfants conservent une éternelle jeunesse préservée de tous maux. Pauline aimait ces personnages de conte. A sa manière, l'auteur l'imagine en Wendy immortelle qui n'a plus peur de rien, même pas du Capitaine Crochet car Peter est là pour veiller sur elle.
On ne sort pas indemne d'une telle lecture. Elle prend le lecteur à témoin et lui intime l'ordre de faire sa propre part de cheminement avec l'écrivain, elle lui refuse le confort de la mise en perspective ou de la douce passivité et lui somme de prendre parti. L'émotion doit jaillir au fil des phrases chargées des petites choses ordinaires de la vie quotidienne mais aussi de fulgurances de la pensée et d'amour.
J'ai beaucoup paraphrasé
Philippe Forest (les petits astérisques*), non par paresse intellectuelle, mais simplement parce qu'il exprime avec une justesse et une acuité parfaites des concepts pour lesquels je n'aurais pas son talent. Et aussi par pudeur pour un évènement qui a marqué son existence et pour lequel mon silence compatissant ne peut être que la seule réponse.
Michelangelo 26/5/2021
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