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Citations sur Le roman, le réel. Un roman est-il encore possible ? (11)

Le problème qui se pose à moi actuellement est de savoir comment écrire une œuvre qui se refuserait perpétuellement à ce que ce dernier mot soit posé.
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Du chat de Manet (à la queue dressée en forme de point
d'interrogation), comme de celui de Chateaubriand (dont la couleur brille
sans raison dans le gris du récit) ou de celui du Cheshire chez Lewis
Carroll (qui appartient si visiblement à la même espèce et dont le sourire
ironique finit par luire énigmatiquement au milieu de son visage absent),
personne ne peut dire ce qu'il signifie. IL est là pour rien. Détail « absolu »
auquel le roman se rend, qui, avec lui, et sans espoir de réponse, donne sa
langue au chat.
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le roman répond à l'appel du réel tel que cet appel s'adresse à chacun dans l'expérience de l' "impossible ", dans le déchirement du désir et celui du deuil. Quelque chose arrive alors qui demande à être dit et ne peut l'être que dans la langue du roman car cette langue seule reste fidèle au vertige qui s'ouvre ainsi dans le tissu du sens, dans le réseau des apparences afin d'y laisser apercevoir le scintillement d'une révélation pour rien.
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Cette récolte de rien, le roman la disperse dans le vent afin qu'elle
retombe sur le blanc de la page et que l'œil puisse ainsi questionner
le dessin que forme l'étoilement de déchets que cette page reçoit et
découvrir dans un tel arrangement aléatoire la constellation nécessaire
d'un mythe inflexible et pourtant imprévu. C'est pourquoi, dans le roman,
où se déploie la logique d'une causalité magique et lucide, déclare Borges,
« les détails prophétisent ».
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Le détail est l'insignifiance même. 11 se détache du corps du monde.
11 en tombe à terre et le sol le recueille à la manière d'un débris. Mais
une valeur l'investit aussitôt. Alors il perd le statut qui était le sien : le
rien qu'il exprime devient la manifestation de l'impossible réel où se
réfléchit la part de désir et de deuil de toute expérience authentique. Tout
le rebut du monde, avec sa minuscule monnaie de désastres, le roman le
reçoit : cheveux chus à terre, rognures d'ongles, lambeaux de vêtements
témoignant de l'inexorable travail du temps. Ce sont les « sordidissimes »
auxquels Pascal Quignard a consacré l'un des volumes de son Dernier
Royaume : « Ce qu'on appelait les "sordes" à Rome, c'étaient tout d'abord
les choses sales, puis les êtres sales, c'est-à-dire les pauvres, enfin les habits
sales, c'est-à-dire le deuil (au cours duquel il ne convenait pas d'ôter ses
vêtements mais de les déchirer dans la douleur). »
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De même dans le roman ou le poème. Le « détail absolu » y a
valeur d'« illumination » ou bien d'« épiphanie ». Tl n'est pas excessif de
considérer qu'il est l'objet essentiel de la littérature, faisant sécession au
sein même du langage pour y inscrire l'entaille stricte d'une insignifiance
censée recevoir en elle le singulier secret du temps.
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Lorsqu'il prend valeur de « détail absolu », l'élément s'émancipe de
l'ensemble auquel il appartient et la relation de hiérarchie qui existait entre
la partie et le tout se trouve renversée. Personne ne l'a aussi bien démontré
— donnant à cette thèse toute son évidence paradoxale — que Jean-Luc
Godard commentant Hitchcock dans ses Histoire(s) du cinéma. L'intrigue
s'efface dans le souvenir disséminé des images qu'elle assemble :
On a oublié / à propos de quoi /Montgomery Clift garde / un silence
éternel/ et pourquoi Janet Leigh/ s'arrête au Bates Motel/ et
pourquoi Teresa Wright /est encore amoureuse /d'oncle Charlie /on
a oublié / de quoi Henry Fonda / n 'estpas /entièrement coupable / et
pourquoi exactement / le gouvernement américain / engage Ingrid
Bergman/ mais/ on se souvient/ d'un sac à main/ mais/ on se
souvient d'un autocar/ dans le désert/ mais, on se souvient/ d'un
verre de lait / des ailes d'un moulin / d'une brosse à cheveux / mais /on se souvient / d'une rangée de bouteilles / d'une paire de lunettes/
d'une partition de musique / d'un trousseau de clés.
Lorsqu'il s'isole ainsi au sein du récit auquel pourtant il ne cesse
d'appartenir et à l'intérieur duquel il ne renonce pas tout à fait à signifier
aussi, le détail (le verre de lait, la brosse à cheveux, le trousseau de clés...)
se constitue en objet pur de contemplation, délivré de tous les liens qui
l'unissaient au monde de l'utile, comme il l'est — c'est Hegel qui le dit -
dans la peinture où une pomme, une fleur, une asperge, disposés dans le
lointain de la toile, trouvent désormais leur but en eux-mêmes.
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Et on se prend parfois à rêver d'un roman qui, renonçant à la lourde
machinerie de l'intrigue, saurait se résumer à la stricte collection de tels
détails, irréductibles à une autre signification que celle que compose la
théorie éparpillée des choses où se dit la vérité splendide et vide de la vie.
Une vision du monde, une morale, une idéologie ? À quoi bon ? Puisque :
un chat, une porte, un baromètre suffisent et qu'ils détiennent le seul
secret du réel. D'ailleurs, pourquoi rêver ? Un tel roman existe.
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Tel est « l'effet de réel » dont Barthes, à la même époque,
traite également, celui que produit « le détail absolu » (l'expression est
de Barthes encore) dont l'inutilité même fait la nécessité scandaleuse
et inquiète. Le chat — jaune — de Chateaubriand, ou bien le baromètre
posé sur un piano dont parle Flaubert, ou bien la porte par laquelle
passe le peintre venu faire le portrait de Charlotte Corday chez Michclct,
témoignent de ce même « luxe » (de détails) par lequel le roman prend en
lui tout le lot des notations inutiles qui expriment sa générosité propre,
prompte à recueillir en elle tout le pur rebut du temps.
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On n'échappe pas au sens, pourtant.
Si ce chat est allégorique de quelque chose (et c'est le cas, bien
sûr, aussi), alors il l'est de lui-même — autant que le fameux « ptyx »
mallarméen et certainement davantage puisque, notation anodine, il ne
prend pas même la peine précieuse de se signaler au lecteur par sa rareté
de vocable inexistant. 11 signifie l'insignifiance même.
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