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Critique de Erik35


AVANT DE NE PLUS TROUVER LE BOUTON : OFF...

Nous sommes quelque part dans un futur imprécis, plus ou moins proche de notre maintenant, bien qu'il semble que notre civilisation issue des développement technologiques inaugurés à l'aube du XXème siècle ait pourtant lamentablement échoué, s'étant parfaitement fourvoyée dans un machinisme idiot, proposant à l'homme d''aller de plus en plus vite, d'un lieu à un autre, tandis qu'il était pourtant tellement plus simple d'imaginer que ce serait désormais les choses - matérielles ou dématérialisées - qui se déplaceraient dorénavant à notre place. La terre ayant été partiellement ou totalement détruite, l'humanité s'est rapidement repliée sous terre. Malgré un réseau dense et efficace de lignes intercontinentales de dirigeables très rapides - l'aviation n'est encore qu'à ses balbutiements et semble encore incapable de pouvoir servir de moyen de transport de masse -, les voyages sont devenus de plus en plus rares - pourquoi rallier un point B en partant d'un point A lorsque tous les points se ressemblent invariablement ? - et la plupart des besoins physiques, intellectuels et spirituels sont pris en charge par la "machine omnipotente", chacun participant ainsi de cette sorte de doux enfer climatisé acceptable et accepté.

E.M. Forster, pour illustrer son propos, nous fait suivre la destinée d'une mère et son fils. La première, Vashti, est une femme que l'on pourrait qualifier de "bien dans son époque", conférencière - sans jamais avoir nécessité de sortir de son antre/bureau/salle à manger/chambre - par le biais de son "cinématophe", un genre de "skype" bien avant l'heure, ne remettant en rien, bien au contraire, les avancées réformistes qu'elle vit, ou plutôt subit, au sein de cette pseudo-démocratie des idées - les êtres humains ne sont plus que des producteurs "d'idées" dont on ne voit jamais, comment ni à quel moment elles sont opérantes -. le second, son fils Kuno, semble vouloir se rebeller contre cet état de fait. Se rendant compte du caractère blasphématoire de ses pensées à l'encontre de cette divinité qu'est sur le point de devenir La Machine - un Dieu parfaitement vide et mécanisé, sans âme, sans contenu, sans désir -, il insiste à plusieurs reprise pour que sa génitrice vienne physiquement le voir. Au passage, nous apprenons que les liens de parentalité sont réduits à leur seule fonction biologique, l'éducation étant confiée à des tiers : un monde décidément de rêve, n'est-ce pas ? Malgré ses réticences au déplacement, cette dernière se résout à entendre cet enfant pour lequel elle ressent malgré tout une certaine empathie, mais c'est pour mieux écouter le récit sacrilège d'un jeune homme rebelle à cette nouvelle forme d'autorité, qui est parvenu à rejoindre la surface, sans la moindre autorisation, a découvert que des humains y vivaient encore mais s'est fait ramener illico presto dans son sous-sol ennuyeux par des espèces de vers blancs qui sont autant d'avatars de "l'appareil réparateur". Offusquée, Vashti prévient son enfant qu'il risque d'être condamné au "sans-abrisme", lequel est censé aboutir, peu ou prou, à une condamnation à mort.

Mère et fils se quittent sans plus jamais devoir se revoir - mais Kuno, comprenant sans doute l'aberration itérative de la Machine en prophétise la mort prochaine. Celle-ci se fait d'abord attendre mais son emprise totale se double d'une fragilité de plus en plus vive, et d'autant plus que l'humanité qu'elle est supposée servir, quand bien même nous comprenons tout l'inverse, est une humanité de moins en moins "Faber" et de plus en plus vainement "Sapiens", laquelle n'est donc plus d'aucune utilité pour prendre techniquement soin du monstre qu'elle a créé. Ainsi la fin prévue par le jeune homme devient-elle inexorable et, après une série de pannes plus ou moins graves, c'est toute la machine-Léviathan qui cesse brutalement de fonctionner, entraînant avec elle toute cette humanité totalement inféodée à ce confort facile et ennuyeux dans un épouvantable cataclysme définitif.

S'il est difficile de dire aujourd'hui encore à quel point cette dystopie froide, effrayante, déshumanisée s'avérera prophétique, il n'en demeure pas moins que cette longue nouvelle d'un auteur esqsqentielqlqemeqnt connu pour sa description minutieuse, forte, attentive de ses contemporains britanniques, de leurs petits et grands travers - que l'on songe, en particulier, au célèbre Howard End -, E.M.Forster fit montre, en rédigeant ce texte en 1909, d'une singulière sensibilité et d'un don tout aussi étonnant de prévision. Jugez-en plutôt : en des temps où le seul moyen de communication immédiat et international était encore le télégraphe et son langage Morse, où l'automobile ainsi que l'avion n'en sont qu'à leurs premiers balbutiements, que le téléphone ne semble avoir d'avenir qu'au sein d'une classe sociale particulièrement aisée, que le premier essai officiel de Télédiffusion Sans Fil n'aura lieu que 6 années plus tard, notre jeune romancier préfigure l'informatique et les écran portables, conçoit les réseaux sociaux - plus particulièrement ceux de type "Skype" -, prévoit ce mode d'enseignement à distance de plus en plus en vogue que sont les "Mooc", imagine des lignes aériennes internationales, assure les réseaux souterrain d'immenses lignes de métro, etc, etc, etc.

Mais plus encore, il prédit l'apparition de la "Mégamachine", conceptualisée par des philosophes comme Jacques Ellul ou Günther Sanders, comprends que toutes les petites machineries - électriques, téléphoniques, etc- sont de plus en plus interconnectées, reliées irréversiblement les unes aux autres, créant ainsi un genre de Léviathan mécanique où, si un morceau se met à flancher, tout le reste peut déraper et cesser de fonctionner. Il a aussi déduit que de cette hyper-connexion entre les êtres surgissait un phénomène aussi imprévu que néfaste, c'est à dire une uniformisation irréversible des modes de vie, des habitudes, des envies, des rêves... Et, conclusion des conclusions, E.M. Forster a fort bien pressenti que de maître-créateur, l'être humain pouvait finir par devenir l'esclave de sa création, tandis que le machinisme tendait peu à peu à une machinisation stupéfiante de l'individu, devenu en même temps le disciple fidèle et révérencieux de la chose qu'il a tout d'abord su créer.

Un petit texte intelligent, vif, d'une grande facilité de lecture, qui souffre un peu de n'avoir été développé plus longuement par son auteur, car, avec un tel foisonnement de thèmes, une telle sensibilité, nul doute que l'auteur avait-là matière à rédiger l'une des grandes dystopie du siècle passé. Mais on ne refait pas l'histoire et demeure, pour notre plus grand plaisir, ce "La Machine s'arrête" republié fort plaisamment par une petite maison d'édition décalée et passionnante nommée le pas de côté. Une excellente initiative de leur part !
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