Citations sur Où on va, papa ? (270)
A sa naissance, Thomas a eu un très beau cadeau, une timbale, une assiette et une cuiller à bouillie en argent. Il y a des petites coquilles Saint-Jacques en relief sur le manche de la cuiller et autour de l'assiette. C'est son parrain qui les lui avait offertes, le président-directeur général d'une banque, qui était l'un de nos amis proches.
Quand Thomas a grandi et que, rapidement, son handicap s'est révélé, il n'a plus jamais reçu de cadeau de son parrain.
S'il avait été normal, certainement qu'après il aurait eu un beau stylo avec une plume en or, puis une raquette de tennis, un appareil photo... Mais comme il n'était pas dans la norme, il n'avait plus le droit à rien. On ne peut pas en vouloir à son parrain, c'est normal. Il s'est dit : " La nature ne lui a pas fait de cadeau, il n'y a pas de raison que moi je lui en fasse." De toute façon, il n'aurait pas su quoi en faire.
J'ai encore l'assiette à bouillie, je m'en sers comme cendrier. Thomas et Mathieu, eux, ne fument pas, ils ne sauraient pas, ils se droguent.
Chaque jour, on leur donne des tranquillisants pour les faire tenir tranquilles.
Si les enfants ont besoin d’être fiers de leur père, peut-être que les pères, pour se rassurer, ont besoin de l’admiration de leurs enfants.
Si un jour Bach pouvait remplacer Prozac...
Il y a aussi ceux qui disent : "L'enfant handicapé est un cadeau du ciel."Et ils ne le disent pas pour rire. Ce sont rarement des gens qui ont des enfants handicapés.
Quand on reçoit ce cadeau, on a envie de dire au Ciel :"Oh ! fallait pas..."
Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire forcément, être moins bien que les autres, ça veut dire être différent des autres.
Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés. Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux.
De leurs manteaux bleu marine courts sortaient des petites cannes de serin. Je me souviens aussi, quand on les lavait, de leur peau transparente et mauve, celle des oisillons avant que les plumes poussent, de leur bréchet proéminent, de leur torse plein de côtes. Leur cervelle aussi était d'oiseau.
Il ne leur manquait que les ailes.
Dommage.
Ils auraient pu quitter un monde qui n'était pas fait pour eux.
Ils se seraient tirés plus vite, à tire-d'aile.
Quand je suis seul en voiture avec Thomas et Mathieu, il me passe quelquefois dans la tête des drôles d'idées. Je vais acheter deux bouteilles, une de Butagaz et une de whisky, et je les viderai toutes les deux.
Je me dis que si j'avais un grave accident de voiture, ce serait peut-être mieux. Surtout pour ma femme. Je suis de plus en plus impossible à vivre, et les enfants qui grandissent sont de plus en plus difficiles. Alors je ferme les yeux et j'accélère en les gardant fermés le plus longtemps possible.
Cher Mathieu,
Cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j'ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l'ai jamais fait, ce n'était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu'à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures...
Maintenant que Mathieu est parti chercher son ballon dans un endroit où on ne pourra plus l'aider à le récupérer, maintenant que Thomas, toujours sur la Terre, a la tête de plus en plus dans les nuages, je vais quand même vous offrir un livre. Un livre que j'ai écrit pour vous. Pour qu'on ne vous oublie pas, que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidité. (...)
Qu’est-ce que ça veut dire normal ? Comme il faut être, comme on devrait être, c’est-à-dire dans la moyenne, moyen, je n’aime pas trop ce qui est dans la moyenne, je préfère ceux qui ne sont pas dans la moyenne, ceux au-dessus, et pourquoi pas ceux au-dessous, en tout cas pas comme tout le monde. Je préfère l’expression « pas comme les autres ». Parce que je n’aime pas toujours les autres.
Il ne faut pas croire que la mort d’un enfant handicapé est moins triste. C’est aussi triste que la mort d’un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n’a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d’un sourire.
Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés. Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux.
… Il ne leur manquait que les ailes.
Dommage.