Citations sur Les dieux ont soif (110)
La vie d'un homme serait intolérable, s'il savait ce qui doit lui arriver. Il découvrirait des maux futurs, dont il souffrirait par avance, et il ne jouirait plus des biens présents, dont il verrait la fin. L'ignorance est la condition nécessaire du bonheur des hommes, et il faut reconnaître que, le plus souvent, ils la remplissent bien. Nous ignorons de nous presque tout ; d'autrui, tout. L'ignorance fait notre tranquillité ; le mensonge, notre félicité.
La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l'exemple de tous les crimes et de tous les vices que l'état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c'est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale est une entreprise désespérée de nos semblables contre l'ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l'aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même et plus j'y pense, plus je me persuade que l'univers est enragé.
« Vous ne pouvez concevoir, chère amie, l’empire que garde le clergé sur la multitude des ânes… Je voulais dire « des âmes »
Son corsage à grands revers et à grandes basques, tout reluisant d’énormes boutons d’acier, était rouge sang, et l’on ne pouvait discerner, tant elle se montrait à la fois aristocrate et révolutionnaire, si elle portait les couleurs des victimes ou celles du bourreau.
Mais ne me dit pas que la Révolution établira l'égalité, parce que les hommes ne seront jamais égaux ; ce n'est pas possible, et l'on a beau mettre le pays sans dessus dessous : il y aura toujours des grands et des petits, des gras et des maigres.
Que s’était-il donc passé ? Comment à l’enthousiasme des belles années avaient succédé l’indifférence, la fatigue et, peut-être, le dégoût ? Visiblement ces gens-là ne voulaient plus entendre parler du Tribunal révolutionnaire et se détournaient de la guillotine. Devenue trop importune sur la place de la Révolution, on l’avait renvoyée au bout du faubourg Antoine. Là même, au passage des charrettes, on murmurait. Quelques voix, dit-on, avaient crié : « Assez ! »
Il passa par les Champs-Elysées, où des femmes en robes claires, cousaient ou brodaient, assises sur des chaises en bois, tandis que leurs enfants jouaient sous les arbres. Une marchande de plaisirs, portant sa caisse en forme de tambour, lui rappela la marchande de plaisirs de l'allée des Veuves, et il lui sembla qu'entre ces deux rencontres tout un âge de sa vie s'était écoulé. Il traversa la place de la Révolution. Dans le jardin des Tuileries, il entendit gronder au loin l'immense rumeur des grands jours, ces voix unanimes que les ennemis de la Révolution prétendaient s'être tues pour jamais. Il hâta le pas dans la clameur grandissante, gagna la rue Honoré et la trouva couverte d'une foule d'hommes et de femmes qui criaient "Vive la République ! Vive la Liberté !" Les murs des jardins, les fenêtres, les balcons, les toits étaient pleins de spectateurs qui agitaient des chapeaux et des mouchoirs.
Il eût jugé méprisant, insolent pour le peuple, de l’exclure du supplice. C’eût été le considérer, pour ainsi dire, comme indigne du châtiment. Réservée aux seuls aristocrates, la guillotine lui eût paru une sorte de privilège inique (...) Il pensait qu’on doit la peine aux criminels et que c’est leur faire tort que de les en frustrer.
Croyez-moi, mon ami, la Révolution ennuie : elle dure trop. Cinq ans d’enthousiasme, cinq ans d’embrassades, de massacres, de discours, de Marseillaise, de tocsins, d’aristocrates à la lanterne, de têtes portées sur des piques, de femmes à cheval sur des canons, d’arbres de la Liberté coiffés du bonnet rouge, de jeunes filles et de vieillards traînés en robes blanches dans des chars de fleurs ; d’emprisonnements, de guillotine, de rationnements, d’affiches, de cocardes, de panaches, de sabres, de carmagnoles, c’est long !
(...) maintenant pauvre ménagère, la citoyenne Gamelin vivait retirée chez son fils le peintre. C’était l’aîné de ses deux enfants. Quant à sa fille Julie, naguère demoiselle des modes rue Honoré, le mieux était d’ignorer ce qu’elle était devenue, car il n’était pas bon de dire qu’elle avait émigré avec un aristocrate.