Cormoran Strike, tome 3 : La carrière du mal

Le lendemain matin, d’épais voiles de brume s’étiraient comme de gigantesques toiles d’araignée entre les cimes des arbres de Regent’s Park. Strike (…) se tenait en équilibre sur une seule jambe devant la fenêtre, entre la vitre et la tenture qui assombrissait la chambre. Il resta une minute à contempler le parc dans son linceul, fasciné par le spectacle du soleil levant éclairant les feuilles qui surgissaient de l’océan de vapeur. Si on en prenait le temps, on pouvait trouver de la beauté quasiment partout sur cette Terre, mais à force de se battre pour avancer encore et toujours, on oubliait qu’il subsistait un luxe entièrement gratuit. Strike portait en lui maints souvenirs de cet ordre, la plupart liés à son enfance dans les Cornouailles : le scintillement de la mer qu’on aperçoit au matin sous une lumière bleue comme une aile de papillon ; (…) les voiles blanches qui se balancent sur une mer couleur plomb, comme des mouettes posées à la crête des vagues.

De l’unique enceinte s’éleva la voix d’Eric Bloom :
Girl don’t stop that screamin’
You’re sounding so sincere…
Ma petit, t’arrête pas de crier
Tu as l’air si sincère…

Strike éclata de rire. Robin secoua la tête.
« Je savais que vous perdriez votre sang-froid », soupira-t-elle. Mais elle souriait.

I’m living for giving the devil his due.
Je ne vis que pour offrir au diable ce qui lui revient.
BLUE ÖYSTER CULT, “Burin’ for You”

Curieusement, la présence de Strike au bout du couloir la perturbait toujours autant. C’était à cause de Matthew, bien sûr. Si tu couches avec lui, c’est fini pour de bon.
Dans sa folle imagination, elle se figura Strike frappant à la porte de sa chambre, sous un prétexte quelconque…
Ne sois pas ridicule.

« Harbour lights and clustered shipping
Clouds above the wheelings gulls…”
“Les lumières de la baie, les bateaux amarrés,
Les nuages au-dessus des mouettes qui volent… »

« Friends to share in games and laughter
Songs at dusk and books at noon…”
“Des amis qui partagent les jeux et puis les rires,
Des chansons dans le soir, des livres à midi… »

“ Ecoute, il faut qu’on parle. Vraiment. »
Plus jamais, pensa Robin en portant la tasse de thé chaud à ses lèvres d’une main tremblante. Plus jamais je n’agirai contre ma volonté.

I seem to see a rose,
I reach out, then it goes.
Je crois voir une rose,
Je veux la saisir, et elle disparait.
BLUE ÖYSTER CULT, “Lonely Teardrops”

Ça ne peut pas être elle, pensa-t-il avant de nuancer : Pourvu que ce ne soit pas elle.
Parce que, si c’était elle, il était responsable.