Le curé lui avait demandé s'il était chrétien, s'il avait lu la Bible, bref, s'il avait ses papiers. Roland répondait oui à tout en hochant la tête, comme un âne, c'était plus facile.
Lentement la chaleur reprenait possession de son corps, il redevenait flou, flasque, collant à la vie comme une boule de pâte molle.
C'est fou ce dont l'esprit est capable pour préserver le corps.
Les gens sortaient des magasins transformés en portefaix, sapins, sacs,, énormes boîtes ficelées, paquets cadeaux enrubannés qui quelque jours plus tard encombreraient les poubelles et dont le contenu ferait un boucan infernal dans les vide-ordures. Boucheries et charcuteries dégueulaient de dindes fraîchement troussées, de cuissots de sangliers sanguinolents, d'oies grasses, de pyramides d'escargots, de monstrueux étrons de boudins blancs, de quoi vous coller une crise de foie rien qu'en les regardant. On achetait n'importe quoi à n'importe quel prix, une sorte de suicide budgétaire qui n'avait plus qu'un très, très loin rapport avec la naissance du petit Jésus. On avait envie d'en finir, noyé dans le mauvais champagne et le foie gras de Monoprix.
Les morts ne décorent pas la vie comme nous. Ils mettent des napperons au crochet représentant généralement des ananas ou des spirales un peu partout, sur la télé, sous le téléphone, sur les coussins, pareils à des toiles d'araignée.
Dehors, le ciel ressemblait à un mur de chiottes, couvert de graffitis, marbré de traces de rouille. Il paraissait plus beau reflété dans le caniveau, irisé de flaques d'huile, une petite aurore boréale.
Un enfant était venu se jeter dans ses jambes. Il avait déjà une tête de vieux con. Avec vingt ans de professorat derrière elle, Jeanne ne s'en étonnait plus. Elle les avaient aimés, puis détestés, à présent ils lui étaient aussi indifférents que les adultes. Il fallait vivre avec et parfois les chasser de la main comme des mouches.
Une fois quelqu'un lui avait dit qu'on devenait adulte le jour ou on évitait les flaques d'eau .Il sauta dedans à pieds joints .