Oui bien sûr, c'est tendre, romantique, touchant cette histoire d'une mère abandonnée par les hommes qui crée une relation fusionnelle avec son unique fils.
Oui, l'écriture est soignée, belle, classique.
Les tranches de vie de notre ami Romain? truculentes, héroïques, humoristiques, coquines, etc...
Cette idée d'une promesse jamais tenue par la vie plaira évidemment à tous les écorchés vifs qui jonchent les couloirs du métro, un unique livre à la main. O Gary, enfin, toi tu m'as compris, tu nous as compris.
Et pourtant. Pourtant ce roman n'a pas réussi à atteindre les tréfonds de mon âme, vous savez, là où vous pouvez dire: "je m'étais bien protégé, j'avais mis ceinture et bouclier, mais il m'a eu, il m'a "touché", ce mousqueton.
J'ai réfléchi, beaucoup, longtemps, moi qui pourtant adore les histoires de mère et d'enfant, me suis demandé pourquoi cette insensibilité? "Rodrigue, as tu du coeur?"
Et bien je crois que c'est parce que notre Romain national, a cette fâcheuse tendance, qu'on retrouve chez une certaine catégorie d'hommes très intelligents de se faire une idée suffisamment sophistiquée sur les choses, le monde, la société, la vie pour qu'elle puisse tenir la route, s'en faire une conviction et nous la servir à toutes les sauces. Et dieu sait qu'il l'a fait avec talent pendant toutes ces années de dévotion à la cause littéraire.
Et ici, c'est exactement le cas. Car ne nous y trompons pas, ce que Gary nomme amour, correspond en réalité à un mal amour, un amour toxique entre une mère qui a de sérieux problèmes d'égo et qui place tous ses espoirs perdus dans son pauvre fils, et son fils qui ne sait plus quoi faire pour la satisfaire même bien après la mort de celle-ci. Ils s'inventent des vies, d'abord ratées, peintre, puis plus réussies, héros de guerre, ambassadeur, écrivain enfin, et va jusqu'à redevenir un beau et jeune écrivain pour de nouveau réussir ce qu'il avait pourtant déjà accompli des années auparavant: gagner le prix Goncourt.
Mais où est le doute chez cet homme? le vrai, le doute pascalien, pas le doute de l'égo, non, le vrai doute, celui qui vous fait douter de votre chemin, de votre schéma, de votre éducation, de votre construction psychologique et sociale?
Il n'existe pas chez Gary, car tout est envahi par le fantôme de sa mère qui lui susurre à l'oreille quoi faire pour qu'elle soit enfin satisfaite. Mais l'égo, ce cruel tyran n'est jamais rassasié, jamais satisfait, et le schéma continue inlassablement de se reproduire, jusqu'à la fin inévitable que nous connaissons tous, ce suicide qui a défrayé la chronique. "Rien à voir avec Jean", a t il écrit, notre cher Romain, dans sa dernière lettre. Il aurait dû ajouter, "tout à voir avec ma mère". Mais il a préféré à nouveau s'inventer une histoire la dernière, peut-être la plus belle. "Je me suis enfin exprimé pleinement". Il a évoqué un de ses derniers livres et un autre,
la nuit sera calme, où il parle de ses éternels conflits d'intellectuel qui se lamente sur son triste sort. Dur de reconnaître que celle sur laquelle toute une vie a été construite est en réalité la seule coupable. L'aube est un crépuscule qui l'a plongé dans une éternelle nuit agitée.
Promesse de l'aube ou Malédiction du crépuscule? Oui, il s'est en effet complétement exprimé en tentant par un dernier acte de plonger dans une nuit totale et définitive.