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François Bondy (Collaborateur)
EAN : 9782070367191
313 pages
Gallimard (06/02/1976)
4.09/5   232 notes
Résumé :
Comme dans La Promesse de l'aube, Romain Gary parle ici de ce qu'il a vu, connu, aimé.
De Vychinski à Groucho Marx, de Churchill à de Gaulle, des héros de la France Libre aux ambassades et à Hollywood, c'est une suite de rencontres, de portraits et d'événements, une chevauchée de coureur d'aventures qui semble avoir vécu plusieurs vies : aviateur, diplomate, écrivain, cinéaste, toujours passionné, toujours amoureux de l'éternel féminin.
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Lecteur de la Promesse de l'aube, je n'avais pas lu La nuit sera calme. Je remercie Piatka qui, par sa critique, m'en a donné l'envie.

Romain Gary est de ces écrivains et de ces hommes dont on peut dire qu'ils réunissent plusieurs personnes en un seul individu. Né en Lituanie d'une Juive russe et d'un Grec orthodoxe, Romain Kacew ou Romain Gary dont le nom signifie "brûle !" en russe est devenu plus francais que les Français de souche, un citoyen excentrique se payant le luxe de pleurer à la place de nos compatriotes la perte de leur identité culturelle et de leur indépendance nationale, noyées dans le consumérisme à la mode américaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ennemi de toute bondieuserie et de tout moralisme, notamment en matière de sexualité, il n'en était pas moins sensible au discours tenu par le Christ, dont la religion d'amour et de salut, même si Gary rejetait la notion de péché, lui paraissait être le triomphe de la part féminine en l'humain, que celui-ci fût homme ou femme.

Dans La nuit sera calme, Gary nous laisse voir plusieurs aspects et facettes des multiples personnalités qui s'exprimaient en lui : un écrivain qui de ses expériences fait des livres ; un serviteur de la France dans sa représentation diplomatique, imitant en cela des Jean Giraudoux, Paul Morand et Saint-John Perse ; un aviateur de la France Libre, tout comme le fut Pierre Mendès France ; un séducteur, un charmeur et un "coucheur" qui n'en fut pas moins un soutien du droit des femmes à se faire entendre et à porter un discours de douceur dans le monde brutal et assez "guerrier" des hommes, même s'il y avait un peu de pose étudiée dans les plaidoyers de Gary en faveur de la cause féminine ; et puis un fin observateur et analyste des bouleversements géo-politiques qui reléguaient la France au rôle de puissance secondaire dans une Europe qui ne pouvait pas se définir toute seule et dont le devenir économique et politique dépendait et dépend toujours étroitement de ce que les Etats-Unis d'Amérique voulaient et veulent bien nous laisser faire, tout en éprouvant pour les Américains une réelle sympathie.

Pour lire Gary, il ne faut surtout pas être idéologue ou être prude. C'est un gros plaisantin qui vous reprend très vite un ton de protestation et de gravité. Un vrai "gamin", un vrai "joueur" : son double prix Goncourt sous les noms de Romain Gary et d'Émile Ajar en sont la vivante preuve. Mais le farceur est aussi un replié sur lui-même et, paradoxe, un "extraverti" qui aime se confier à un public d'inconnus.

Les questions posées par "François Bondy", dans ces longs entretiens qui forment la matière de la nuit sera calme, donnent lieu à des réponses où, sous apparence de franchise et de spontanéité, Gary pèse et choisit ses mots et donne de lui l'image qu'il veut que l'on retienne.

Il y a donc Romain Gary et les femmes, et aussi Romain Gary et le sexe. Il en parle d'un ton libre, sans tabou et sans complexe, avec pour seule retenue celle de ne pas faire mal à quelqu'un si des imprudences de sa part risquent de compromettre une réputation. Et il se moque de ceux qui s'offusquent ou qui jouent à faire semblant de ne pas être concernés ou intéressés par la "chose". Pour lui, les sujets touchant aux rapports sexuels entre êtres consentants ne peuvent être objet de scandale et il rappelle que l'honneur ne peut être placé sous la ceinture mais bien dans le cerveau des individus. Il en profite pour rappeler comment notre monde aime surprendre les personnes en flagrant délit, dans un lit de délices adultères, et en même temps dans leur crainte de l'exploitation d'images capturées pour salir une réputation, notamment dans le milieu diplomatique, où l'espionnage est devenu de règle.

L'émotion s'empare de Romain Gary quand il évoque son amour pour la Hongroise Ilona Gesmay, un amour partagé, et pour lequel il avait obtenu la bénédiction de sa mère chérie - de cette mère sans cesse évoquée et donnée en exemple et qui eut la chance d'avoir un fils pour la sortir de l'ombre et parler d'elle avec l'abondance du coeur dans La nuit sera calme aussi bien que dans La Promesse de l'aube (même si dans cette dernière oeuvre les liens entre mère et fils sont plus fortement soulignés). Mais revenons à Ilona. Croit-on qu'elle se dérobe pour se soigner de maux guérissables par l'air pur des Alpes ? Tout faux. Et est-ce vrai qu'Ilona est retournée silencieusement en Hongrie pour revoir ses parents et les tenir au courant du projet de mariage qu'elle aurait formé avec Romain ? Pas plus réel que le reste ? Alors, faut-il accepter comme le fait Romain qu'elle ait pris, des années plus tard, la décision de quitter Romain pour devenir religieuse en répondant à un appel entendu au fond d'elle- même ? Eh! Bien non, si Ilona s'est éclipsée sans rien dire, c'est qu'elle qu'elle voulait ne pas attirer l'attention sur le fait qu'elle était atteinte par une maladie psychiatrique et internée pour des soins depuis des années et qu'elle ne voulait pas inquiéter Romain. Si elle refuse qu'on la voit, c'est qu'elle a voulu rester belle dans le souvenir de son bien- aimé. du coup, ce dernier ne doit pas céder au désir pressant qu'il éprouve de se précipiter auprès d'elle.

Autre grand volet : la politique. Gary se moque dans ces pages de ceux qui n'ont à la bouche que les mots : "indépendance de la France" quand on sait que nous dépendons de l'Afrique et du Moyen-Orient pour nos besoins en matières premières. Comment nos hommes politiques peuvent-ils indéfiniment signer des chèques en blanc sur l'avenir ? Pour Gary, la France, et, de manière plus générale, l'Europe, qui n'ont plus le pouvoir de leur ancienne puissance, font encore comme si... Constat d'autant plus amer que les États-Unis autorisèrent la création de l'Europe comme ligue commerciale pour faire pièce à l'U.R.S.S. L'actualité récente tendrait d'ailleurs à nous prouver que les U.S.A. aimeraient bien nous utiliser comme arme pour lutter contre la Russie ultra-nationaliste de Poutine, qui aurait rallumé la Guerre Froide entre Empire russe et U.S.A. en s'en prenant à l'Ukraine. Malgré tout, Gary demande à ce que l'on ne tire pas sur l'ambulance qui passe, car il appelle finalement de ses voeux la création d'une véritable Europe, à condition que ce ne soit pas l'Europe des profiteurs et de la seule finance. Il l'écrit : "Nous ne devrions pas nous identifier à quelque citoyen romain qui se serait écrié, en voyant Jésus mourir sur la croix : "Encore un raté !"
Pour lui, la France ne doit pas s'annihiler en se fondant dans l'Europe. Bien au contraire. Et il ne faut pas avoir peur de cultiver notre passé. Il a cette très belle phrase : "Le plus grand progrès que l'humanité ait connu eut lieu lorsque le Moyen Âge a découvert le passé : il a découvert l'Antiquité, la Grèce [et Rome], et c'est ainsi qu'il s'est ouvert sur l'avenir". Il use d'une belle image pour montrer que nous tenions auparavant nos destinées en main : il évoque justement les mains artistiques de la France.
Ici, Gary me rappelle le Bernanos de la France contre les robots.
Toutefois, même lorsqu'il dénonce notre soumission à la culture dominante des États-Unis, il pointe un peu plus loin que le rapport entre culture populaire et production cinématographique américaine est le résultat d'un heureux mariage.

L'humour enfin : lorsqu'il raconte qu'éconduit avant guerre par un homme qui lui refusa la main de sa fille, Romain Gary, fait Compagnon de la Libération et chevalier de la Légion d'Honneur, vit accourir au-devant de lui le même homme, venu lui faire la proposition incongrue qu'avec ses médailles et sa réputation de combattant comme couverture, il accepte la présidence d'une chaîne de maisons de passe, ce qui permettrait de laisser à ces établissements les moyens de continuer à exercer sans être menacés dans leur existence. "Je leur ai dit que j'etais très honoré mais que je ne pouvais pas accepter la présidence d'une chaîne de bordels, parce que je venais d'avoir une autre offre que j'avais déjà acceptée, celle d'entrer comme diplomate de carrière au ministère des Affaires étrangères".
Et encore et toujours la sexualité : "De toute façon, tout le monde ment, dès qu'il se met a parler au lieu de faire. [...]Le jour où je ne pourrai plus, je ne pourrai plus, un point, c'est tout. Je ne chercherai pas à ressusciter ça par le verbe".

Et puis l'essentiel. Quand François Bondy lui demande : "Dans cette sorte de mosaïque que tu es, composée d'éléments disparates - russo-asiatique, Juif, catholique, Français, un auteur qui écrit des romans en français et en anglais, qui parle russe et polonais, quel te semble être l'apport dominant ?"
Romain Gary : "Quelque chose que tu n'as pas mentionné, dans tes énumérations : la France libre. C'est la seule communauté humaine physique à laquelle j'ai appartenu à part entière".
Francois Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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Ce livre n'est pas un vrai roman. Bien que réalisé sous la forme d'une interview avec son ami François BONDY, ce n'est pas non plus une vraie interview. Romain GARY en a imaginé la trame sous forme de questions-réponses qu'il a lui-même intégralement rédigées. Selon moi, cet auto-interview est plutôt un TESTAMENT littéraire, où l'auteur expose directement ses opinions, parle de ses oeuvres et de leur élaboration, de son engagement pendant la guerre, et nous livre ses réflexions sur sa vie et la société.

Paru en 1974, alors que GARY a soixante ans, c'est bien le livre de la maturité. J'y ai retrouvé avec plaisir le style fluide, l'humanisme et le ton teinté d'humour de cet auteur que j'apprécie tant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne conseillerais pas d'aborder son oeuvre par ce livre, qui est d'autant plus passionnant si on l'a déjà un peu fréquentée.
Cet ouvrage nous donne à entendre la voix de Romain GARY, il s'adresse à son lecteur à la première personne : c'est son intérêt et sa grande force ! On comprend mieux aussi comment il a pu devenir un des écrivains majeurs du XXème siècle.

Un seul bémol peut-être, pour être objective. GARY fut un acteur de son temps, tour à tour compagnon de la libération, diplomate, écrivain, cinéaste. Nécessairement ses réflexions, en particulier politiques , sont à replacer dans leur contexte et sont clairement datées. En revanche, ses réflexions sur la vie, l'amour, la mort, gardent une universalité passionnante pour le lecteur d'aujourd'hui.


Un extrait...choisi au hasard ( le choix fut difficile, tant le livre regorge de citations plus belles les unes que les autres :
" - Des regrets ?
- Je n'ai pas assez écrit et je crois que je n'ai pas su assez aimer. "
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La nuit ne fut pas calme…

Tenue éveillée par des quintes de toux à m'en décoller la plèvre, enfin pas tout à fait puisque ça n'a pas eu lieu, mes pensées se sont égarées, mon coeur s'est emballé à ces pensées, ma chair s'est échauffée à cet emballement, mes pensées se sont brouillées à cet échauffement, le brouillard de mon esprit s'est transformé en un sommeil troublé.


A quinze ans, j'ai rencontré un homme. Un homme charmant. Non, mais qui m'a charmée, indéniablement. Un homme de 46 ans déjà, qui m'a raconté sa vie, et quelle vie ! Son enfance, entre Russie, Pologne et France. Sa jeunesse, entre petits métiers, l'écriture et l'envie d'être publié. Puis la guerre, où l'on est héros ou pas. Il fut héros.
La promesse de l'aube. C'est la promesse qu'il m'a faite de m'éblouir souvent par sa capacité d'empathie hors du commun.

Dans le même temps, il m'a conté tout autre chose, d'une voix de petit garçon, fils de pute.
La vie devant soi. En réalité les vies. Toutes ces vies qu'il me restait à découvrir avec lui.

« le roman, c'est la fraternité : on se met dans la peau des autres. »


Merci à madame Sabbah, professeur de lettres, de nous avoir fait découvrir Romain Gary en classe de seconde.


Romain Gary donc, m'a séduite.
Parce qu'il a des couilles, des vraies.
Un héros de la guerre, qui n'a pas peur physiquement de mourir, un mec capable aussi de se foutre de la gueule de toute la société bien-pensante avec son histoire de pseudo qui lui a valu d'être le seul écrivain à avoir deux fois le prix Goncourt, mais là encore capable d'aller jusqu'au bout de la blague, en ne révélant la supercherie qu'à titre posthume.
De quoi en mettre plein la vue à une jeune fille de 15 ans…

« La dignité n'est pas quelque chose qui interdit l'irrespect : elle a au contraire besoin de cet acide pour révéler son authenticité. »


Bien sûr pour impressionner une midinette, quoi de mieux qu'avoir le sens de la formule, et une ironie un peu mordante, couplée à une sorte de fausse modestie, tout en se la jouant un peu Calimero.

« Elle m'a dit qu'elle avait toujours su que j'étais un salaud et que c'était même uniquement pour ça qu'elle s'était laissée faire, parce qu'avec un type bien, elle aurait eu honte. »


Puis j'ai grandi, des mecs qui ont des couilles, j'en ai rencontré, parfois des tellement grosses que ça laisse plus la place pour autre chose. C'est utile, hein, vu les trésors d'humanité que ça peut contenir, des couilles.
Mais parfois ça te menace d'étouffement dès que t'irais y mettre le nez trop près, alors dans ce cas-là ça devient dangereux parce que ça coupe tout espoir de communication saine entre un homme et une femme.


Alors j'ai continué à passer de bons moments avec Romain Gary, plus sensible à d'autres sujets de réflexion, sur la société, avec le temps qui passe.
Très jeune dans Education européenne et dans le grand vestiaire, homme d'âge mûr dans Les racines du ciel, La tête coupable, Les mangeurs d'étoiles, vieux dans Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, L'angoisse du roi Salomon
De quoi passer toute une vie avec lui. Et ben si c'était à refaire, j'recommencerai. Ce que j'ai fait d'ailleurs...


Parce qu'un mec capable d'une telle poésie dans son écriture, moi j'en redemande.

« J'ai fait deux mille kilomètres de bus pour arriver à Big Sur, une centaine de kilomètres de beauté fantomatique, d'une beauté à vous faire sentir devant ça comme une sorte de pollution en veston, un lieu où le grand fantôme de l'océan rencontre le fantôme de la terre dans une atmosphère brumeuse, vaporeuse, où aboient les phoques et où on a envie de faire son mea-culpa uniquement parce qu'on n'est pas eau, ciel et air. »


« La nuit sera calme » n'est pas un roman.
Il se présente comme la transcription d'entretiens ayant eu lieu entre François Bondy et Romain Gary. En réalité, ces entretiens sont fictifs, c'est Gary qui a écrit les questions et les réponses.

Quel est le but si ce n'est de se faire mousser ? le but est de communiquer avec ses admirateurs, ses admiratrices, et même avec son fils, qui n'a que 11 ans à ce moment-là et à qui il sait qu'il n'aura pas l'occasion de dire certaines choses car il sera mort avant.
Il garde une certaine pudeur tout de même, pour qui veut bien y croire.

« Nous entrons là dans le domaine du « combien de fois avant le petit déjeuner », et je ne joue plus. Je me refuse à m'exprimer là-dessus verbalement. Les personnes qui sont concernées sont renseignées. C'est un domaine où le « verbal » devient toujours du godemiché, de la prothèse. Je sais que c'est très à la mode, le cul est dans le vent. Tu assistes aujourd'hui à des réunions distinguées où l'on parle en « liberté » du pile et du face, avec détails et précisions, avec inventaire, chiffres en main – c'est toujours chiffres en main, à défaut d'autre chose. »


A lire absolument pour tous les amoureux de Romain Gary, tous ceux qui ont déjà lu pas mal de ses livres, car c'est un livre très éclairant sur son histoire personnelle, sur sa personnalité, sur ses motivations à écrire des livres, sur sa vision, très éclairée, du monde.


Romain Gary y aborde ses thèmes de prédilection.
Le « je » universel dont il semble atteint et qu'il donne souvent à ses personnages de roman. Gary se sent concerné par tous les autres hommes. Il cherche toujours à les comprendre et à se mettre à leur place.
Là aussi c'est avec ironie qu'il parle de la « barrière du langage ».

« Mais il ne faut pas trop leur parler à ces types si différents de toi, parce qu'alors ils commencent à te ressembler vachement et c'est encore une fois la même merdouille, tu te retrouves dans tes meubles. »


Sa mère exceptionnelle, bien qu'encombrante, qui lui a donné son « témoin intérieur », l'oeil qui n'est pas dans la tombe mais devant lequel on évite de faire trop de conneries pour ne pas le décevoir, qu'il soit là ou pas, et qu'il soit vivant ou mort.
Ceci l'amène à quelques réflexions, empruntes de cynisme sur Dieu.

« J'y ai réfléchi, je me souviens, quand j'avais seize-dix-sept ans en regardant ma mère se démener et je me souviens, que je suis arrivé à la conclusion que croire en Dieu, c'est calomnier Dieu, c'est un blasphème, car il n'aurait pas fait ça à une femme. Si Dieu existait, ce serait un gentleman. »


Il raconte sa vie. Pas spécialement son enfance, ou alors il passe très vite dessus, mais il parle de sa jeunesse, c'est-à-dire à partir d'une vingtaine d'années, donc vers 1934. Il parle un peu de la guerre mais ne s'étend pas non plus sur cette période. Il explique davantage tous les postes qu'il a occupés comme diplomate.
Il a une vision lucide et éclairée du monde, ce qui lui donne d'instinct une pensée politique du monde assez juste, un peu visionnaire, sur l'écologie, sur l'Europe par exemples, sur la croissance, sur les rapports entre les grandes forces dans le monde, sur l'individualisme de l'homme.
Et sa lucidité se teinte parfois d'amertume.

« Il y a aujourd'hui une extrême confusion dans la merde, due à l'abondance. le monde ne semble plus avoir le choix qu'entre le bourrage de crâne et le lavage de cerveau. Ajoute à cela ce caractère individualiste qui fait que lorsqu'on parle en politique d'un « grand homme », le Français se sent personnellement diminué, comme si on lui avait volé quelque chose. »


Il parle beaucoup aussi de Los Angeles, du cinéma, de Hollywood, avec des anecdotes, mais il en parle surtout de façon très désabusée. Sauf pour quelques-uns, comme Gary Cooper, qui a donné le titre à l'un de ses livres.

« Oui. Gary Cooper. C'était un homme vraiment viril, au sens le plus féminin du terme. Doux. Gentil. Incapable de haïr. Plein d'humour et de modestie. C'était un grand Américain. »


Il parle de la féminisation qui serait salutaire au monde. Et cette féminité, il ne la voit pas que dans les femmes, il la voit aussi dans Jésus Christ par exemple, et surtout il ne la voit pas dans toutes les femmes, n'ayant pas d'illusion sur les femmes accédant au pouvoir et qui se comportent comme des hommes pour les besoins de la cause.

« Je ne suis tout de même pas assez praline pour dire : « Il faut mettre les femmes à la place des hommes et on aura un monde nouveau. » C'est idiot, ne serait-ce que parce que la plupart des femmes agissantes, actives, ont déjà été réduites à l'était d'hommes par les besoins mêmes et les conditions de la lutte. le machismo en jupon n'est pas plus intéressant que l'autre. Je dis simplement qu'il faut donner une chance à la féminité, ce qui n'a jamais été tenté depuis que l'homme règne sur terre. »


Enfin, il parle longuement des femmes.
Et là, on ressent bien qu'avec un homme comme lui, on peut avoir sa chance, et donc ça donne envie d'y être.

« Pendant des milliers d'années, les machos, pas du tout sûrs de leurs moyens, se sont appliqués à convaincre les femmes qu'elles ne doivent pas jouir, que c'est contraire à la féminité. C'est pas élégant, c'est pas propre, c'est pas bien du tout, c'est pas Vierge-Marie, c'est pas sultan et harem, c'est pas kasher. Les hommes, bon, c'est pas leur faute, les pauvres ! La nature a fait qu'ils ne peuvent pas féconder sans jouir avant, mais les femmes peuvent très bien féconder sans jouir, et il y a même une jolie « théorie » pseudo-populaire qui dit que la femme est plus sûre de concevoir lorsqu'elle ne jouit pas. Tout cela dispensait les machos d'être à la hauteur. On a beau être un vrai, un dur et un velu, des fois, on baise très mal, ça fait pchitt ! tout de suite, ça part, trente secondes, deux minutes, et voilà notre géant au bout de ses peines. le nombre de vrais durs qui ne durent pas ça vaut largement le nombre de femmes frigides. »


Il est abordé au détour d'une (fausse) question, le mélange des genres entre les personnages de ses romans et sa vie, dont des moments peuvent être des chapitres de romans.
Petit clin d'oeil à Emile Ajar, sûrement déjà né, puisque ces « entretiens » ont été publié en 1974, année de la publication de « Gros câlin ».


En parlant de gros câlins, bonne bourre…


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En utilisant la hiérarchie des insignes de Babelio, je dirai que les chevronnés, inconditionnels de Romain Gary, auront lu La nuit sera calme. Les adeptes, surement aussi. Dans la négative, ils l'auront envisagé. Les amateurs quant à eux le découvriront peut-être après avoir lu cette humble intervention. Et là, je les presse de le faire. C'est un incontournable de la bibliographie de cet idéaliste sublime.

Sous la forme d'un entretien avec son vieil ami François Bondy, lequel lui pose les questions brulant les lèvres de ses admirateurs, comme de ses détracteurs, Romain Gary répond avec la virtuosité et la spontanéité qu'on lui connaît. Avec un humour corrosif aussi, qui vient en paravent d'une amertume toutefois assez mal dissimulée. Pour la vérité, c'est autre chose. Car le drôle n'en est pas à ses premières facéties éditoriales. Ce n'est pas au vieux singe, fût-il diplomate, que l'on va apprendre à faire des grimaces et interloquer son auditoire. Mais quand même, ça respire le vrai.

On apprend beaucoup de choses sur le personnage dans ce livre, dont il est inutile d'essayer de faire l'inventaire. Il faut plutôt chercher à convaincre l'amateur de se plonger dans cette lecture au combien révélatrice tant des idées de l'auteur que des stratagèmes qu'il mettra en oeuvre pour les faire valoir ou convoiter. Aussi, si je devais extraire de cet ouvrage quelques impressions émergeantes, ce serait d'abord la perception de cette hantise qu'a Romain Gary de l'enferment en soi-même, une forme de "claustrophobie", tel qu'il le dit lui-même, qui le fera à la fois se livrer dans tant d'ouvrages et sous divers pseudonymes, dont un n'est d'ailleurs pas encore révélé au moment de l'entretien avec son ami. Ce pseudonyme qui vaudra à son auteur son deuxième prix Goncourt, Emile Ajar.

Je retiendrais aussi les préoccupations qui lui feront reprocher ses déviances à la nature humaine et nous dire que ce qu'il préfère dans l'Homme, c'est … la femme, plus exactement la féminité. Seul trait de caractère selon lui capable de sauver l'humanité du machisme dévastateur qui gouverne les esprits depuis que l'homme s'est octroyé la gouvernance de la gente animale.

Et enfin lorsque François Bondy demande à Romain Gary quel a été l'apport dominant de la mosaïque de sa vie, ce dernier répond sans hésiter : "la France libre. C'est la seule communauté humaine physique à laquelle j'ai appartenu à part entière". Sans doute parce qu'elle était l'émanation d'un élan commun, d'un rêve, celui de la liberté et que "l'homme sans le rêve ne serait que de la barbaque."

La nuit sera calme est un éclairage indispensable sur l'homme et son oeuvre à qui veut progresser dans la compréhension de la complexité du personnage. Une complexité qui se dévoile toutefois d'autant plus qu'on l'assimile à la notion d'humanisme. Mais pas l'humanisme mercantile en vogue. Un humanisme sincère, un humanisme qui croit encore en l'homme en dépit de ce que la richesse de sa vie lui a fait découvrir, et déplorer. Une forme de définition de l'humanisme au sens des qualités humaines qui peuvent habiter un esprit prédisposé à la fraternité.

Sans le rêve, l'homme ne serait que de la barbaque. Il s'empresse d'y adjoindre, sans la poésie aussi. Car rêve et poésie vous élèvent et vous détachent d'une réalité qui porte plus à la déprime. On comprend que lorsqu'un homme est habité par ce degré d'humanisme idéalisé, il ait alors du mal à vivre parmi ses semblables.
Le 2 décembre 1980, son acte funeste nous a privé de ce prospecteur de la part de féminité qu'il y a en chacun de nous. L'inconvénient qu'il y a à connaître pareille échéance est qu'on en scrute les prémices dans tous les écrits et paroles de celui qui restera à jamais un virtuose de la vie.
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Comment faire le bilan de sa vie, sans se vautrer dans un catalogue de poncifs souverains, de bien-pensance et d'éloge de soi-même?
Romain Gary évite l'écueil et les cueille même bien mûrs pour les jeter à la tronche de son interlocuteur qui n'est autre que ...lui-même.
Toutefois, il a emprunté le patronyme de son ami François Bondy pour la forme et agrémenter le propos.

Autant les questions sont incisives, autant Roman Gary "Cooper" n'évite aucune question et défouraille sur tous les sujets et les personnalités qu'il a rencontrées.

Si ses propos sur Hemingway, Mendès France et l'ONU sonnent le glas de leur relation. Il affirme son admiration pour sa mère, De Gaulle, John Ford et Gary Cooper.
Ces propos tenus sur le ton d'une conversation tiennent du galop verbal et l'on passe roidement d'un sujet à l'autre.

Mais parfois cette lecture est suspendue quand il parle de la déchéance humaine à Hollywood, dans les hôtels-bordels de l'île Maurice ou de sa propre condition à 60 ans.
Une vie aux multiples rebondissements: enfance à Vilnius puis à Nice sans père- mais avec quelle mère!-, aviateur au sein de la RAF en 1940, compagnon de la Libération, diplomate pendant 15 ans, voyageur, cinéaste et écrivain.
L'insatiable Romain Gary ne sait pas comment s'arrêter, pourtant, en 1974, 6 ans avant sa mort, il n'y a pas que son "je" littéraire qui lui pèse.
Ouvrage indispensable pour comprendre sa vie et son oeuvre.
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Citations et extraits (120) Voir plus Ajouter une citation
Lorsque je commence un roman, je ne sais ni d'où je pars, ni où je vais, je ferme les yeux et je dicte, m'abandonnant à quelque chose dont je ne connais pas la nature. [...] Il faudrait quand même en finir un jour avec cette plaisanterie du roman " vrai " parce que vécu...les meilleures descriptions de la peste sont dans le Journal de la peste, de Defoe, qui n'avait jamais vu une épidémie de peste. Pour l'artiste, le réel ne sera jamais le vrai, ni la vie le vivant. [...]
Le réalisme n'est qu'une technique au service de l'invention. Les écrivains les plus réalistes sont seulement des contrebandiers de l'irréel. Le réalisme est une mise en scène cohérente du mythe.
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On a volé à l'homme sa part imaginaire, mythique, et cela ne donne pas un homme « vrai », cela donne un homme infirme et mutilé, parce qu'il n'y a pas d'homme sans part de poésie, il n'y a pas d'Europe sans part d'imaginaire, sans la « part Rimbaud », ce n'est pas le règne du réalisme, c'est le règne du zéro. Or, s'il est une part humaine qui ne peut pas se passer d'imaginaire, c'est notre part d'amour. Tu ne peux pas aimer une femme, un homme, sans les avoir d'abord inventés, tu ne peux pas aimer l'autre sans l'avoir d'abord inventé, imaginé, parce qu'une belle histoire d'amour, ce sont d'abord deux êtres qui s'inventent, ce qui rend la part de réalité acceptable, et indispensable même, comme matériau de départ. Ce qu'on appelait jadis le « grand amour », c'est le dévouement pendant toute une vie et souvent jusqu'à l'extrême vieillesse de deux êtres à cette œuvre d'imagination qu'ils ont créée ensemble et réciproquement, deux êtres qui se sont d'abord inventés...
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[...] la domination américaine est là, et elle ne nous vient pas des États-Unis mais d'une acceptation d'un mode de vie qui exige la création de besoins de plus en plus artificiels pour faire tourner de plus en plus vite et avec de plus en plus d'ampleur la machine socio-industrielle. Le résultat, c'est un déchaînement matérialiste annihilateur de tout ce qui fut français depuis Montaigne... La France, c'était du fait à la main, à tous les points de vue, dans tous les domaines, patiemment, avec respect de la qualité et de l'œuvre. Il y avait un certain respect, une honnêteté dans les rapports des mains avec la vie, une certaine honnêteté intellectuelle... [...] des mains ridées, prudentes, qui avaient un rapport vrai, un rapport honnête avec ce qu'elles faisaient... La France, c'étaient des mains humaines, avec un vrai sens du toucher, du fond et de la forme, et qui avaient un peuple derrière elles - et pas seulement une démographie n'est-ce pas, M. Debré, M. Foyer ? "pour faire face à la Chine de l'an deux mille"... [...] Rétrograde? Mon vieux, ils me font marrer. Le plus grand progrès que l'humanité ait connu eut lieu lorsque le Moyen Age a découvert le passé : il a découvert l'Antiquité, la Grèce, et c'est ainsi qu'il s'est ouvert sur l'avenir... S'imaginer qu'en cinq mille ans d'œuvres aucune racine permanente n'a été plantée, c'est d'une rare imbécillité... Les mains françaises, c'était vraiment une civilisation, jusqu'à ce qu'il leur soit venu des poches. Maintenant, le pays est fait de poches qu'il s'agit de remplir et d'agrandir, afin de les remplir et de les agrandir encore davantage, et de les remplir encore plus... C'est ça la "domination américaine", ce n'est pas le Pentagone. (p.92-94)
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J'ai vu tomber à mes côtés des jeunes gens faits pour le bonheur et pour l'amour et qui croyaient qu'ils mourraient pour un monde fraternel : ils ont été victimes d'une tricherie.
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Tant qu'on ne verra pas à la tribune de l'Assemblée nationale une femme enceinte, chaque fois que vous parlerez de la France, vous mentirez ! Il y a dans le monde politique une absence effrayante de mains féminines... Finalement, les idées, c'est dans les mains que ça prend corps et forme, les idées prennent la forme, la douceur ou la brutalité des mains qui leur donnent corps et il est temps qu'elles soient recueillies par des mains féminines...
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Vidéo de Romain Gary
"Un monument ! Une biographie indispensable pour (re) découvrir Romain Gary, cet auteur incroyable ! " - Gérard Collard.
Dans le Jongleur, Agata Tuszyska peint un portrait unique de Romain Gary, unique auteur à avoir reçu deux fois le Prix Goncourt (pour Les Racines du Ciel et La Vie devant soi), diplomate, scénariste, pilote de guerre, voyageur; et montre comment son personnage va au-delà des limites de la pirouette artistique et des responsabilités humaines.
À retrouver en librairie et sur lagriffenoire.com https://lagriffenoire.com/le-jongleur.html
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