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Citations sur Pseudo (61)

Chaque fois que je vois ma gueule, le matin, je me fais peur et ça me donne du courage pour aller en ville et parler aux adultes.
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Il me fallait à présent un autre sujet pour me défendre et évacuer. Or, comme chacun sait, il y a crise de sujets. Ce n’est pas qu’il en manque, grâce à Dieu, mais la plupart ont déjà été traités. Il y en a aussi dont je ne voulais à aucun prix, parce qu’ils infectent. Je ne parle même pas du Chili, comment s’en débarrasser par un roman. Ils ont de très bons écrivains en Amérique du Sud, ils s’en occupent. Il y avait les six millions de Juifs exterminés mais c’était déjà fait. Il y avait les camps soviétiques, l’archipel Goulag, mais il fallait éviter la facilité. Il y a eu la guerre du Bangladesh, avec deux cent mille femmes violées, ce qui aurait permis au livre d’avoir un petit côté sexy légitime, mais ce n’était plus d’actualité, ça s’est passé trop vite. Il y avait la condition des Noirs américains, mais les écrivains noirs américains se foutent en rogne quand on leur vole leurs sujets. Il y avait les famines, la corruption, les massacres, le déshonneur et la folie en Afrique, mais on ne peut pas en parler, parce que ce serait raciste. Il y avait les droits de l’homme un peu partout, mais ça faisait rigoler. Il y avait l’arme nucléaire, mais c’était la seule chose que l’URSS, les États-Unis, la Chine et la France ont de commun et je ne pouvais quand même pas écrire contre la fraternité, il faut de l’espoir. Il y avait les Tziganes génocidés, dont on avait peu parlé, mais la documentation avait disparu dans les chambres à gaz. Il y avait l’ONU, mais c’était quand même trop dégueulasse. Il y avait la liberté mais René Clair en avait déjà fait un film comique. Il y avait des océans d’angoisse, de sang et d’horreur partout, mais des milliers d’écrivains étaient déjà dessus. Il y avait évidemment le silence, mais il n’y a pas plus coupable.
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Le lendemain, je me promenais avec mon python en laisse dans les rues de Cahors, tranquillement. Gros-Câlin se faufilait sans chercher de crasses à personne, empruntait les passages cloutés, respectait les feux rouges, était parfaitement en règle, quoi. Mais il y avait là un flic qui passait et qu’est-ce qu’il fait ? Il marche sur mon python, délibérément. Exprès, il l’a fait, ce salaud-là. Le pied dessus, dès qu’il a vu que c’était un python, par horreur des marginaux et des non-conformistes. J’objectai.

— Nom de Dieu ! Vous l’avez fait exprès !

Il parut étonné.

— Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?

— Vous avez marché sur mon python.

Alors là, il faisait vraiment celui qui ne comprenait plus. C’est comédien, ces mecs-là, c’est pas croyable.

— Quel python ?

— Comment quel python ? Celui-là.

Je montrai Gros-Câlin du doigt.

— Je me promène tranquillement avec mon python en laisse et vous lui marchez dessus, parce qu’il n’est pas de chez nous.

Le flic regardait à mes pieds. Il était devenu tout rouge.

— Il n’y a pas de python ici, dit-il avec une fausse assurance, car c’est traître.

Gros-Câlin faisait semblant de se lécher la bosse que le flic lui avait faite.

— Et ça, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas un python ?

— Merde, dit le flic, car il avait du langage. Il n’y a pas de python à Cahors. On n’est pas en Afrique, ici.

— C’est ça, les Africains dehors, hein ? Dès que vous avez vu mon python, vous lui avez marché sur la gueule, par racisme.

— Nom de Dieu, dit le flic simplement, car il ne faut pas croire, ils respectent leur patron.

Et qu’est-ce qu’il fait, ce salaud-là ? Il sort un sifflet de sa poche, mais le sifflet n’a pas vu mon python non plus. Il l’a dit à haute et intelligible voix, pour faux témoignage :

— Il n’y a pas de python ici.

Les sifflets ne parlent pas et c’était une provocation policière si grossière que je n’ai fait ni une ni deux. Je ne suis pas un violent mais quand les sifflets se mettent à nier l’existence des pythons à Cahors, c’est un comportement tellement aberrant, avec insinuation de démence à votre égard, qu’il y a de quoi se foutre en rogne.

Et qu’est-ce qu’il fait, ce salaud-là, après le gnon qu’il a reçu ? Il sort un autre flic de sa poche, qui en sort un troisième, et en un clin d’œil ça s’est mis à grouiller de flics complètement dingues autour de moi qui se dévissaient et laissaient sortir d’autres flics de l’intérieur et ça s’est mis à grouiller autour de moi de pythons qui niaient l’existence de pythons, ça s’est mis à grouiller et à se propager et à se répandre et à m’enserrer et à m’entreprendre et à grandir et à se multiplier et je me suis senti à l’échelle mondiale et j’ai eu une telle peur que je me suis mis à hurler et à appeler Pinochet à mon secours mais il n’y a pas de bon Dieu.
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Le directeur littéraire a été gentil avec moi. Il m'a simplement dit une fois que "ça n'a pas empêché Hölderlin de faire une immense œuvre poétique". Je ne sais pas ce qu'il entendait par "ça". Tout ce que je sais, c'est qu'Hölderlin est resté fou près de trente ans et c'est beaucoup trop cher, comme prix littéraire. Aucune œuvre poétique ne vaut ça.
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Finissons-en maintenant avec cette histoire de "canular" : oui, j'en suis un, comme tant de journaux et de chaînes de radio l'ont deviné.
On reconnaît notre état de canular à nos cris défiant toute concurrence, à notre creux qui sonne un avenir toujours futur, et à nos traces de larmes, de sueurs froides et de sang.
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J'ai perdu la tête. Je me suis désintégré complètement, par excès de visibilité, mais j'ai récupéré ma main droite qui tient le stylo et, comme on voit, je continue à écrire, car lorsque j'écris, j'échappe provisoirement à l'occupation par des éléments psychiques irresponsables. Ma tête, je n'ai pas cherché à la récupérer : elle n'est pas la mienne, de toute façon. Elle me cache bien, mais elle n'est pas à moi. Je me suis fabriqué une gueule d'adulte.
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Alyette avait passé une licence de lettres pour devenir vendeuse au Prisunic, et puis, sur mes conseils, elle est devenue reine d’Espagne et avait ainsi la sécurité sociale. Je lui ai donné des cours d’histoire d’Espagne pendant trois mois, pour la préparer, parce que les hôpitaux psychiatriques sont encombrés et il y a sélection. J’étais alors plombier, maçon, colleur d’affiches, puisque le travail vous rend ce qu’il y a de plus pseudo et de moins perceptible. On donne satisfaction. Tout cela en attendant, car je suis sûr que le cerveau aura son 1789.
Grâce à mon expérience et à mes encouragements, Alyette est donc d’abord devenue reine d’Espagne et puis simple princesse : nous avions découvert que les reines d’Espagne étaient soumises à un Grand Cérémonial, une Étiquette et un Protocole implacables. C’était trop con de se fourrer délibérément dans quelque chose d’aussi compliqué.
Quand la Sécurité sociale en avait marre ou que Tonton Macoute se foutait en rogne à cause de nos frais de clinique, Annie allait travailler comme monteuse de films, parce que c’était quand même encore du cinéma. J’ai fait vingt métiers les uns plus inaperçus que les autres, je me faisait bien voir. On a eu une petite fille mais on ne la montrait pas tellement : c’était une enfant parfaitement normale, et cela risquait de jeter sur mon pseudo-pseudo et sur ma princesse une ombre de suspicion. Je m’étais mis d’accord avec Tonton Macoute que j’avais seulement trois semaines de clinique par an, et pas un jour de plus. C’était avant le Danemark, avant ma grande crise d’authenticité. Je n’avais donc que trois semaines par an pour m’entraîner, regarder autour de moi, apprendre et me préparer.
J’avais acheté un python et je l’observais attentivement pour mon premier ouvrage documentaire, Gros-Câlin, mais ce salaud-là se fourrait dans des coins impossibles et disparaissait à vue d’oeil, parce qu’il ne voulait pas donner naissance à une œuvre littéraire.
En dépit de notre accord quant à ces trois semaines de clinique par an, j’ai pu resquiller dix jours supplémentaires, grâce à mon python, justement. A ce moment-là, je n’avais plus un rond, Annie ne trouvait pas de film à monter, à cause de la crise de l’imagination, et je n’avais aucune envie de me muer en plombier ou éboueur.
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Lorsque j’ai lu l’interview de Madame Yvonne Baby sur toute une page du Monde, ça me ressemblait si peu que j’ai eu la certitude de lui avoir dit la vérité. C’était bien moi, cette absence de moi-même. J’existais enfin, comme tout un chacun. Ça m’a fait tellement peur que j’ai fait une rechute et lorsque Madame Gallimard m’a vu dans cet état, le couteau pour tendances suicidaires à la main, elle a eu très peur. Je la remercie ici de sa gentillesse.
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Les chaises me font particulièrement peur parce que leurs formes suggèrent une absence humaine.
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(p.190)
Je fus très calme. Je suis toujours très calme quand je perds la tête. Parce que c'est justement ma tête qui m'empêche d'être calme.
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