Citations sur Le début des haricots (27)
Mon corps héberge deux esquisses de jeune femme. L'une est plutôt vulnérable, l'autre médecin urgentiste. Un passage au vestiaire et** je bascule, je goute d'un coup à la tranquillité de l'aplomb, ce clapotis à mon pourtour, mes connaissances, les gestes de soins qui me sont familiers. A cet endroit, il n'y a pas de doutes, je sais d'évidence que je suis à ma place.
Julia vient de terminer ses saucisses-frite, elle m'adresse son regard d'angelot innocent, celui qui m'enrobe le cœur d'un vernis de pomme d'amour en un millième de secondes.
Pour lui, l'électrocardiogramme est à la médecine ce que le tuteur est au plant de tomates, un guide en toutes circonstances, un prérequis indispensable.
J’inspire, je tente un exercice de visualisation. Je suis un lac tranquille. Cette façon de me donner des ordres m’exaspère un peu, quand même. Un grand lac aux reflets plombés. Il pourrait au moins s’inquiéter de ma disparition, se demander ce qui m’est arrivé ou bien s’enquérir de mon état. Un immense lac immobile et lisse, hermétique aux mouvements d’humeur. Je vais faire de la résistance passive, je ne répondrai pas. Je suis une carpe muette dissimulée dans les profondeurs bleutées d’un grand lac placide dont jamais la surface plane ne se ride sous le vent. Ma vie professionnelle vient de s’écrouler, mais seuls sa présentation et son congrès comptent ! Eh bien, qu’il aille au diable ! Je suis un bouton de fleur…
Si quelqu'un dans l'univers souhaite décerner la palme du bazar existentiel, qu'il me fasse signe ! J'ai de quoi concourir et remporter la partie haut la main. Mon dernier patent en date est à l'agonie, je rate un congrès prestigieux, je m'enferre dans un mensonge stupide, je tombe amoureuse d'un américain à dix mille kilomètres de mon domicile, le tout sans négliger d'alimenter généreusement les fournaises de l'ire paternelle. Tout ça en seulement quatre jours. En matière de résolution de soucis, je mérite un trophée.
Je n'ai que trente-deux ans, mais ces après-midi-là, lorsque je n'ai dormi que quelques minutes éparses puis une courte matinée, je me sens aussi fraîche qu'un limaçon centenaire au soleil de juillet.
Si en médecine, ma cuirasse est inoxydable, en matière de misère humaine, les limites de ma tolérance flirtent avec le zéro.
Quels que soient les chemins tortueux ou linéaires qu’emprunte notre vie d’adulte, ils finissent toujours par croiser au détour d’une allée une boucle poussiéreuse qui nous ramène à l’enfance.
Là où la loterie chromosomique m’a dotée d’une main de mousse dans un gant de velours, mon père a hérité d’une main de fer dans un gant de titane, et finir broyée dans la lutte ne me tente pas vraiment.
Je m'endors en pensant qu'Elizabeth a raison, l'instant présent est bien la seule chose qui existe, hier est le fruit de nos souvenirs, demain celui de notre imaginaire, se torturer l'esprit pour un congrès par avance ne procure rien de bon.