Elle est née d'une autre culture, sur une autre planète. L'évolution de son espèce n'a rien avoir avec la sienne. Ils ne devraient même pas se comprendre, ils devraient se trouver si différents l'un de l'autre que seul le rejet conviendrait à la logique. [...]
Kee avait compris que là ou existaient des différences existaient aussi des similarités, des points de jonction et de compréhension. Un langage, un terreau commun où semer des graines.
Dans son esprit de jeune rebelle [...], des murs s'écroulent, des barrières s'affaissent. Elle rentre de plain-pied dans ce monde d'adultes, qui n'a qu'à faire du pacifisme, de la non-violence, que seul le pouvoir détermine. Et le pouvoir passe par le conflit, la mort ou la destruction d'autrui.
Le lendemain ressemble à s'y méprendre à une belle journée d'été ; le soleil frappe plus fort qu'un boxeur au premier round et les baquets d'eau disséminés ici et là voient leur niveau baisser à vue d’œil.
Un peu plus tard, une odeur ignoble empuantit l’atmosphère. Kee se tourne vers Elgaux. Lui aussi se bouche le nez. Il désigne de longues îles boisées, bandes colorées sur le fleuve.
– Un horshak mort.
Comme il ne discerne que les îlots, le naufragé hausse les sourcils, d’incompréhension.
– C’est vrai, tu ne connais pas les horshaks. Ce sont de gigantesques poissons plats, qui peuvent vivre plus de deux cent ans. Toute leur vie se passe immobile, le dos à fleur de surface. La végétation finit par prendre possession de la partie émergée de leur corps, ce qui donne l’impression d’observer une île. Et quand l’un d’entre eux meurt, le cadavre diffuse cette odeur infecte, due à une putréfaction lente.
Kee hoquète de dégoût.
– Charmante planète, dit-t-il.
– C’était pendant la grande guerre. Je ne sais pas comment elle a fini, évidemment. Sans doute très mal pour les deux camps, puisque personne, ici, n’a jamais revu l’ombre d’un vaisseau, qu’il soit humain ou salamandre. J’étais officier tireur d’élite à bord du plus grand bâtiment de la flotte, le Templier. Ce système solaire n’avait qu’une importance mineure – et la planète aucune – étant donné qu’il se situait un peu à la marge des deux empires. Ce secteur n’était régi par aucune des deux races. Mais, pour je ne sais quelle raison stratégique, la flotte de mon commandant se devait de passer par ici.
"Un genre de limace lancéolée, d’un jaune brillant, glisse mollement sur le visage de Kee.
Le naufragé se réveille, avec la même sensation de désorientation que la première fois où il a ouvert les yeux sur Seinbeck. Il ôte le gastéropode d’un revers de main et s’assied. La nuit est toujours là, les étoiles brillent dans un ciel sans nuages. L’encre noire semble se confondre avec la nature."