Elle avait défié le danger le plus mortel qui soit pour une femme libre - le fondamentalisme - sur le terrain le plus dangereux qui soit - l'exercice du pouvoir. Et elle avait survécu.
Il n'y a pas de honte à la défaite tant que l'esprit ne se résout pas à perdre.
Je suis écrivain, autant dire que je ne sers à rien. Après ma mort, je veux que vous me promettiez que les Chiles mangeront mon corps. J'aurai servi à quelque chose...enfin.
Les atolls évoquaient des bagues de pierre sertissant un lac transparent .
Mon père, cette vieille ordure...Je le bénis pour une seule chose...Pas de m'avoir mis au monde, non : de s'être tué lui-même. Cela m'a évité de devenir parricide...Tout est sa faute, depuis le début.
- Putedieu ! cracha Kasul. Si l'on continue à perdre de l'altitude, c'est en bateau qu'il faudra se résoudre à filer.
Sheitane posa les mains sur ses hanches.
- Putedieu, répéta-t-elle d'un ton gouailleur. C'est donc ainsi que s'exprime un écrivain ?
- Un écrivain libertin peut tout se permettre, très chère amie. Les jurons traitent de l'essentiel : le sexe et la divinité. Certains dévots sacrent en chile pour se mettre en règle avec leur conscience. Pour ma part, je répugne à cette facilité. Et les jurons chiles sont d'un fade...
L'effort mettait ses bras à la torture, mais peu à peu, la pente s'adoucit. Sheitane se retrouva à ramper sous un pan de voilure tatoué de calligrammes incompréhensibles, délavés par le soleil et les intempéries. Une seule phrase avait résisté aux assauts du temps : L'air est un lac dont les vagues battent le seuil de chaque demeure.
- Je suis un savant. La science n'appartient à aucune reh, sinon à celle qui exerce le mieux ses facultés d'entendement.
- Le rôle de la science est d'être utile...
- Non ! Son rôle est d'enrichir notre esprit, de repousser l'horizon de nos connaissances.
Kasul ne dormait pas. Il avait espéré accepter son sort dans la paix, toutefois il n’en était rien. La peur tordait son ventre. Il avait la certitude qu’il n’y avait rien après la mort, que sa pendaison ignominieuse soufflerait pour toujours l’étincelle de sa conscience.
Ma vie devrait être plus importante que tout le reste, puisque je ne crois en rien. Je n’ai même pas réalisé la grande œuvre à laquelle j’ai voué mon existence : en ce sens, mourir c’est me trahir moi-même. Je devrais renier mes convictions et me repentir publiquement, supplier qu’on me laisse la vie… Mais à cette idée, tout son être se crispait. Autant demander à un poisson de voler.
Un Hodgqin et un Chile devisaient au bord de l’eau.
— Heureux comme un poisson dans l’eau, dit le premier.
Le Chile fit remarquer :
— Qu’en sais-tu, puisque tu n’es pas un poisson ?
Le Hodgqin répondit :
— Qu’en sais-tu, puisque tu n’es pas moi-même ?