Tu aurais aimé leur dire, à tous ceux de l’école et de la
rue, que ton nom était un mensonge, ça oui.
Tu aurais aimé leur dire, à ceux de ta famille, que
tu étais quelqu’un, que tu existais, que tu étais telle-
ment plus belle qu’en personne, que tes seins étaient à
peine nés mais très doux.
Aux jumeaux, tu aurais voulu dire que tu détestais
leur vitalité insolente, à la mère, qu’elle n’en était pas
une, à Fleur, que tu la chérissais et qu’en même temps,
dans le même élan, tu jalousais sa légèreté.
Tu aurais voulu leur dire à tous, tous les êtres hu-
mains de cette planète, tu aurais voulu leur crier que
ton cœur battait, battait, que tu voulais connaître le dé-
sir, l’amour, que tu n’en pouvais plus de solitude.
Mais tu ne savais pas dire ces choses-là parce que
les mots étaient enfouis au plus profond de toi depuis
le début, et même ton cœur qui cognait à mains nues
dans sa cage thoracique ne savait pas comment attein-
dre les autres sans les blesser.
Tu avais quatorze ans, tu faisais preuve de débrouil-
lardise et te taisais la plupart du temps.
On ne se connaissait pas encore, nous deux.
Et pourtant, Éden a quitté son man’s land, elle avance en tremblant, sa bougie vacillante à la main.
Est-ce que la respiration incessante des marées, les pierres, le grand vent, l’odeur forte du varech et des conifères, toute cette énergie sauvage de l’île va nous pénétrer et nous guérir, toi et moi?