Citations sur Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon (15)
Mon moral n'existe plus depuis des jours, sans nouvelles des miens, sans savoir ce que je fais là. Je m'endors de cette seule certitude que je ne suis plus rien. L'avantage de ne plus avoir d'espoir, c'est que ça protège des désillusions.
C'est un volcan de boue, de débris humains, de métal et de pierres qui éructe et puis s'affaisse. C'est la terre après le règne des hommes. Tout est noir et cette fois, ça y est, ça devait bien finir par arriver. Il était écrit qu'on allait tous y passer.
Si le simple fait d'avoir survécu au combat est déjà une blessure, le reste des dégâts les a convaincus qu'il valait mieux rester coupés du monde à tout jamais, se taire et attendre la mort. La vraie mort.
La guerre, ça éloigne les ennemis, mais ça fonde les fratries, ça crée de nouvelles émotions et les sentiments sont plus vrais. A se demander si l'homme n'a pas été crée pour se battre, pour se mettre sur la gueule et vivre intensément plutôt que de vivoter chichement à faire ses courses au carrefour market tous les samedis avant de laver sa bagnole et regarder la télé le soir.
Fossoyeur, je travaille la nuit à préparer les tombes, à m'occuper des cimetières; je vis au milieu des cercueils et des corps sans vie, les seuls que je supporte, dans cet espace à mi-chemin du ciel et de la terre, dans l'entre-deux, au point de fusion de la vie et de la mort, un no man's land boueux de plus. La journée, je me terre, la nuit j'enterre.
La guerre est une cicatrice ouverte. La guerre est terminée maintenant pour lui et pour nous. La plaie est refermée, mais il reste la cicatrice.
En quittant le cimetière, mon père me décoiffe d'une main passée dans mes cheveux. Il me dit que j'ai bonne mine. Et voilà comment ça se termine la guerre, une bonne mine qui fait tout sauter.
Je passe la journée assis, ainsi, grelottant, somnolent, concentrant mes pensées sur le futur, Eglantine, le retour, la fin de ce cauchemar, la vie qui reprend ses droits et s'écoule tendrement, calmement, sans violence, sans bruit sinon celui des roses qui éclosent.
On doit tuer ceux d'en face et ceux d'en face doivent nous tuer en prétextant qu'on veut les tuer. C'est une fête foireuse, un joyeux hasard mortel.
Pendant des années et des années, toutes les annéees qui ont suivi la guerre, j'ai toujours eu l'impression que quelqu'un me regardait sans se montrer. Du plus loin que je m'en souvienne, j'appelais ça l'ombre. Je percevais une présence indicible.