Et je t'ai laissé envahir ma vie, grignoter jour après jour l'espace dans lequel je m'étais glissée pour me protéger du monde et des hommes. Je t'ai permis d'entrer. Je t'ai ouvert grand la porte. Je ne me suis pas méfiée. J'ai pensé que le grand jour était arrivé...
La marée noire tournait en boucle dans les esprits…les hommes remâchaient entre eux la marée qui arriverait bientôt, dix jours, huit jours, personne ne savait…Pas de sortie en mer, pas de pêche, pas de projet…Ils étaient désespérés mais leur désespoir était teinté d’un sentiment pas ordinaire qui les maintenait en vie, ils vivaient un évènement tellement exceptionnel que cela suffisait à les faire tenir debout. Ils existaient plus que jamais, victimes innocentes sacrifiées sur l’autel du profit.
Nous apprenions qu'un pétrôlier était en train de vider son fuel au fond de l'océan, à moins de trois kilomètres du rivage.
Les vacances s'écoulaient ainsi, tantôt paisibles, tantôt inquiétantes, et faisaient de moi un otage docile près de se briser à chaque instant. A force d'interpréter le moindre signe, de lire dans les pensées de chacun et de vouloir soulager les problèmes de tous, j'étais comme un linge qu'on essore. J'encaissais tous les coups.
C'étaient nos premières vacances ensemble. Nous voulions savoir si nous étions capables de vivre toi, moi et les enfants sous le même toit. Nous brûlions de trouver une réponse. Nous avions tant d'espoir.
Mais tu t'es relevé au milieu de la nuit. Tu es sorti sur la terrasse et j'imagine que tu es resté là longtemps, assis à même le sol, à triturer des brindilles. Je ne suis pas venue te rejoindre comme je le faisais quand je t'ai rencontré. J'ai appris à t'abandonner. Je savais que tu pensais à elle, que tu tentais de lutter contre l'oubli, te remémorant les mots prononcés avant sa mort.
Nous nous sentions reclus dans un lieu coupé du monde, les uns soudain jetés contre les autres.
Nous sommes arrivés après une journée de route. Nous étions tous les cinq dans la voiture. C'étaient nos premières vacances ensemble.
Pour construire une vie nouvelle, il faut oublier. Il faut se souvenir aussi. Il faut accepter la part d'inconnu qui s'installe comme un danger. Comme une promesse aussi. Tu étais mon inconnu, mon énigme, celui que je ne parvenais pas à débusquer. Tu respirais près de moi mais ta respiration t'appartenait.