Quand l’aveugle dansait…
Quand l’aveugle dansait, le violon désertait
l’épaule de Chlomo et les cordes passaient sous les
roues d’un train, s’accrochaient aux poteaux qui
bordaient la voie. Les balluchons dormaient dans les
filets et un voyageur parlait pour oublier toutes ces
histoires qui poussaient les voyageurs vers d’autres
frontières. Il y avait des officiers, des uniformes, des
têtes de chiens dressées contre la nuit. Un vieillard
muet dont la main tremblait entre deux lettres. Vous
connaissez, disait le voyageur, l’histoire du Baal
Shem Tov qui fit deux fois le voyage pour Jérusalem
sans jamais l’atteindre ? Dans une courbe de la voie
un adolescent, qui n’avait pas pris le temps de dire
son nom, sauta du train en marche. Il s’est trompé
de route, disait quelqu’un. Et nous ? demandait un
autre.
…
La fin du voyage est l’illusion de la fin du livre…
La fin du voyage est l’illusion de la fin du livre. Le
voyage, l’illusion de la lecture. De quoi le livre est-il
l’illusion ? demandait l’aveugle. La fin du voyage est
l’illusion d’une réponse à la fin du livre. Le voyage
est l’illusion d’une question du livre. De quoi le livre
est-il l’illusion ? demanda à nouveau l’aveugle. Et il
ajoutait : La fin du livre est avant le livre, avant le
premier pas du voyageur.
…