Il haussa un sourcil, n'avisant aucun cendrier sur la table. Fais chier, encore un espace non fumeur. Il se tourna vers la fenêtre où le maudit nuage défilait sans arrêt et ajouta :
- Tous les rêves se ressemblent, quand on y réfléchit, on se dit qu'ils ne valent pas bien cher, mais en même temps ils sont irremplaçables. Donc ils méritent notre respect.
Elle restait silencieuse. La lumière de la fenêtre était soudain grise et lointaine, comme dans un tableau hollandais. Il ajouta tout bas :
- Si vous vivez, il vivra lui aussi. Nous vivons tout le temps qu'on nous garde en mémoire. Ne le tuez pas deux fois.
- Le passé est toujours minuscule, enchaîna Mendez, mais le futur à l 'air immense. C'est pour ça probablement qu'on cherche à le construire.
- Beaucoup sont morts pour une poignée de terre, Méndez. Au moins, j’ai survécu, j’ai eu de la chance.
- Ca en valait la peine ?
- J’en sais rien. Je finirai mes jours dégoûté, j’ai vu mourir trop d’idéaux, et les gars qui sont morts croyaient encore à la lutte finale, à la victoire finale.
- Ce n’est qu’une chanson, Villa.
- C’est déjà pas mal.
(…) Peut-être songea t- il qu’au moins ce qui demeure dans la chanson ne périt pas.
Méndez était un chien des rues, or ces bêtes-là désobéissent.
- Vous n’avez pas idée de ce que vous avez fait, Mendez.
- Allez savoir, madame le juge.
- C’est une farce, un outragé, une obstruction à la loi. Vous serez sanctionné !
- Je fais souvent l’objet d’enquêtes administratives. Le jour de ma nomination, j’ai même reçu un premier blâme.
- Parce que vous ne croyez en rien, probablement, comme monsieur le greffier l’a justement observé.
- En effet, madame le juge, je suis un homme de peu de foi.
L’amour peut se passer d’argent, pas le mariage.
Les révolutions sont menées par des gens qui se sentent mieux dehors que chez eux contre ceux qui se sentent mieux chez eux que dehors.
- Qu'est-ce que vous dites ? Par miracle, on vous invite à un mariage et vous n'êtes pas foutu de vous pointer à l'heure ?
- Ce n'est pas ma faute, Monsieur Monterde, c'est à cause du progrès social. Sur le périphérique, à la sortie de la ville, je suis tombé sur une manif de chauffeurs de bus réclamant des heures de repos.
Les solutions les plus simples sont toujours les meilleures. Mieux vaut buter un type chez lui, sans témoin, plutôt qu’en pleine rue où les ombres vous guettent.