Papa,
T'écrire c'est remailler une passerelle.
C'est m'assurer que je pourrai l'emprunter jusqu'à la fin de ma vie. La parcourir dans un sens et dans l'autre. M'arrêter à mi-chemin et regarder le paysage.
T'écrire, là, comme ça, j'ai peur que ça sonne faux. Que ça fasse "procédé".
Je commence cette lettre en préparant déjà de quoi l'affranchir, car je veux ceoire que tu la recevras.
Tu es un puzzle qui ne sera jamais complet.
De ton univers, tu es le seul mort.
Cette lettre est la première et la dernière qui t'est destinée. Je t'ai mis en mots sans tricher. Sans inventer. Les souvenirs qui sont revenus sont maigres et peu nombreux mais ils constituent mon trésor le plus précieux. Maintenant, ils peuvent s'estomper, je les ai couchés, là.
Je continuerai à t'inventer. Tu auras encore d'autres visages et d'autres voix. Parce que vois-tu, de cet amour-là, on ne se défait pas.
Être orpheline d'un père si célèbre donne lieu à des situations où se mêlent chagrin et fierté.
Tu vois papa, le cancer aide les petites filles rebelles à la réalité à la regarder en face.
Tu sais, papa, c'est compliqué de devenir adule sans père. Je ressemblerai toujours à un vieil enfant. L'innocence en moins.
Tes ombres sont devenues les miennes. Tacitement. Ces morts sans sépulture vivent en moi. Je ne sais pas me recueillir, mais j'ai su les accueillir.
J'ai nié. Nié ta mort dans un premier temps. Ta vie dans un second temps.
il ne faut pas arrêter un souvenir en marche.