C'est un livre qui n'aurait jamais dû être publié. Un livre inachevé, abandonné par son créateur, redécouvert après sa mort, enfin publié. Il a reçu un accueil mitigé des amoureux de Gracq, certains ravis d'une telle redécouverte, d'autres y voyant un sous-Rivage des Syrtes. Mais pour moi, c'est son livre le plus abouti. Il est venu combler, étrangement, le sentiment d'un manque que m'avait laissé ‘
Le rivage des Syrtes', ‘
Au château d'Argol' et ‘
Un balcon en forêt'. Cette impression que l'auteur avait dissimulé quelque chose, qu'il restait une idée cachée derrière tout cela, une toute petite idée qui était là, au bout de sa plume mais qui n'en était pas tombée, qu'il n'ait su la formuler ou voulu la noter !
Et je crois l'avoir trouvé ici. Dans cette magnifique et vénérable ville de Bréga-Vieil, si parfaitement administrée qu'une invasion barbare à ses frontières n'inquiète que par l'émoi qu'elle pourrait susciter dans la population. Dans la décision d'Enzo et de ses amis, à première vue incompréhensible, de la fuir en cachette pour gagner la cité assiégée par les barbares. A leur côté, dans leurs chevauchées et leurs bivouacs, dans leur séjour dans un village de pêcheur, dans leur traversée des marches dévastée de l'empire. Mais surtout, dans la citadelle assiégée de Roscharta.
La ville blanche au bord du lac, dans son immense vallée bordée de montagne. La ville silencieuse écrasée par la chaleur et le soleil de midi, où l'on déambule entre les hautes maisons et les petits jardins ombragés de charmilles. La ville où la peur se mêle à d'étranges et confus sentiments, une sorte d'excitation malsaine, alors que le siège dure depuis des mois, s'est installé dans la vie de tous. du haut des murailles, on aperçoit le campement ennemi. Étrange ennemi, invincible et sans pitié, qui ressemble aux hordes gengiskhanides, mais contre lequel on se bat à la carabine…
Désormais, le nom de Gracq évoquera pour moi la ville blanche au bord du lac, la ville encerclée où l'on attend avec un tremblement ce que l'on ne souhaite pas qu'il arrive. Peut-être est-ce son esprit, cette ville ?