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Critique de Patsales


Bon, c'est du lourd. Une fresque à la jointure de deux mondes, la fin du XIXº, le début du XXº, avec comme fil conducteur l'art, la peinture et comme lieu emblématique la Normandie, plus précisément les falaises d'Etretat.
En fait, malgré quelques fulgurances et une chronique impeccable de la guerre 14-18, ce roman représente assez bien ce qui m'insupporte, la littérature feuille-de-route.
Je crois que Proust a fait une métaphore là-dessus, en décrivant ces fleurs japonaises qui de bouton sec et rabougri éclosent au contact de l'eau. Un (bon) roman c'est ça : le projet de départ s'est métamorphosé en un truc pas complètement prévu, bousculé par les mots toujours plus connotés qu'on ne le croit, l'inconscient jamais assez bridé et ce relou de lecteur capable de voir des trucs que l'auteur n'avait pas mis et qui y sont pourtant.
Un roman feuille-de-route, c'est l'inverse: l'auteur part de la fleur déployée parce que c'est celle-là qu'il a en tête et pas une autre et il la rentre à grands coups d'écrabouillages dans le bouton d'origine pour que le projet et l'oeuvre finale soient identiques comme si le romancier était un maître d'oeuvre consciencieux arc-bouté sur son devis.
Le résultat est une oeuvre laborieuse, aux effets soulignés à grands traits, sans espace de liberté.
Par exemple, le narrateur n'existe pas. Il n'a pas de vie propre. Il n'est là que pour servir les plans de l'auteur. Il naît en 1847 pour pouvoir évoquer la guerre de 1870. Il passe son temps à se promener sur les plages, ce qui lui permet de rencontrer Monet à dates fixes, ce grand dadais ne va qu'une seule fois au bordel, c'est pour y croiser Maupassant, il fournit moult détails de ses exploits sexuels, c'est pour mieux évoquer Courbet et l'origine du monde, sa voix s'exalte à décrire les Meules de Monet en un pastiche des Illuminations, tiens c'est Rimbaud qui se radine, il déteste son père, il est vrai que Freud a découvert l'inconscient en 1900...
Et pour être sûr que le lecteur a bien compris qu'il s'agit pour Grainville d'exalter l'art de la Belle Époque, le roman multiplie les citations, les pastiches, les connotations, les références, les clins d'oeil appuyés et l'entre soi. Il faut dire, et ça c'est drôle, que le narrateur s'apelle Guillemet. La description d'une plage ? C'est « Pierre et Jean » De Maupassant. Un accouchement bien saignant ? Piqué à Zola. Une phrase réunissant éventail, miroir et cygne (« effleuré par un éventail, reflété dans un miroir, vacillant, vieux cygne incliné, raffiné que peignit, jadis, Manet »), on tourne la page en soupirant : bien sûr, le narrateur croise Mallarmé. Un cattleya surgit au détour d'une phrase, pas de surprise, c'est bien Proust qui vient faire coucou. On se croirait dans les quizz culturels du Nouvel Obs d'été.
L'histoire parfois pose problème. Bien sûr, l'affaire Dreyfus c'est du nanan: Zola peut débarquer en majesté. La Commune aussi est facile à caser: il suffit de faire la liste des artistes qui l'ont défendue et de ceux qui l'ont honnie. Mais pour rester dans le thème jusqu'au bout, quelques acrobaties sont souvent nécessaires. Comment relier la catastrophe de Courrière et les peintres impressionnistes ? Fastoche: « Le feu. Pendant des jours et des jours, sans repères, sans le soleil levant, sans le couchant, sans aube. le plein air de Boudin, de Monet, tu parles ! » L'éruption du Vésuve , quelques mois après, peut-elle trouver sa place dans cette évocation de la peinture au tournant du siècle ? Grainville ne recule devant rien : « C'est un Vésuve de couleurs que font jaillir les nouveaux trublions de l'art, les fauves ». Blériot traverse la Manche ? « Impression, soleil levant : à ma montre, il est 4 h 30. le moteur est en marche. Blériot lance : « Lâchez !  » . Un navire est coulé par un sous-marin allemand ? « Ainsi, nos eaux sont hantées par la présence allemande, son ubiquité. La Vague de Courbet masque les torpilleurs ». Lindbergh vole au-dessus de l'Atlantique? de Lindbergh à Monet, il n'y a qu'un pas: « Plus au nord, l'océan encore et toujours, semé de glaçons bleus et roses, de nénuphars de porcelaine immaculée »... Etc.
Ce matraquage systématique est pourtant loin de nous raconter l'époque. Les faits sont là, les personnages historiques aussi, mais leur intimité est celle de nos contemporains. le narrateur gifle sa maîtresse qui l'accuse d'avoir violé des kabyles. Mais on est au XIXº! Y'avait pas de hashtag « Balance ton porc »! Quelle femme en voulait à un homme d'avoir lutiné une Indigène ? Quel homme se sentait humilié d'être ainsi accusé ? Ou bien, on se retrouve à lire des affres de nouveau père: « Je dus m'avouer que je n'étais pas tout à fait sur la bonne voie. Je m'étais aperçu qu'en cas d'angoisse Charlotte rejoignait toujours les bras de sa mère. de ce donjon, elle me regardait et me repoussait d'un geste d'une grande injustice. Aline me disait avec douceur que je ne pouvais pas tout à fait être un compagnon de jeu d'égal à égal et détenir l'autorité d'un père. ». Crédibilité zéro, Aldo Naouri, sors de ce texte!
Et je passe sur les évidences assénées d'un ton pénétré (« L'homme aime la guerre, Charlotte ») ou les capacités divinatoires des personnages (genre demain les postiers n'existeront plus ou bien l'Allemagne va vouloir se venger et déclenchera une nouvelle guerre).
Quant au style... oui, c'est vrai que parfois il nous emporte. D'autre fois (assez souvent) j'ai baillé. Et de temps en temps, je me suis demandée si Grainville atteignait le sublime ou s'il barbotait dans le pur grotesque: « un gros grain de beauté sombre tel le caca d'un cake planté dans le pli des seins… » ou alors c'est qu'il ne s'est pas relu (et je le comprends: une fois suffit): « La Manneporte n'a pas le maniérisme gothique de l'Aval. Elle n'est pas une métaphore. Elle ne rampe pas comme la porte d'Amont biscornue. La Manneporte se carre, plein cadre. Large et trapue. Campée sur son châssis tellurique. C'est une basilique. » Ah ben non, Patrick, si l'arche d'Etretat n'est pas une métaphore, elle ne risque pas d'être une basilique.
Maintenant, je suppose qu'en cas de vacances sur la côte d'Albatre, c'est une lecture qui se tente. Ou pas.










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