En Union soviétique, il est plus facile de faire un salto arrière que de dépenser ne serait-ce qu'un dixième de cette somme.
C'est pourquoi ce pays est moralement supérieur à la société capitaliste. Et ses athlètes, acrobates, danseurs sont les meilleurs du monde.
Ici, tous les riches finissent en Midas, noyés sous leur or.
On a laissé l'opium de l'Occident arriver jusqu'à nos poumons. Le jazz, les jeans, Picasso ont sapé les principes moraux des citoyens les plus faibles.
Publiés dans leur pays ? Et puis quoi encore ? Il ne manquerait plus qu'on leur donne le prix Lénine, à ces vauriens qui n'ont jamais planté un clou ni trait une vache !
D'ailleurs les danses capitalistes ne sont que trémoussements indécents. À croire qu'elles ont été inventées exprès pour que la classe populaire oublie l'oppression dont elle est l'objet dans un déchaînement de besoins copulateurs.
Chaque microfilm est roulé en cylindre, que Penkovsky dissimule dans un berlingot en chocolat. Ses préférés sont les Petits écureuils et l'Ourson du Nord. L'avantage étant qu'on en trouve (presque) toujours dans les magasins - résultat concret du soutien militaire de l'Union soviétique à divers pays d'Afrique qui règlent leurs dettes en fèves de cacao.
Il n'y a pas que les billets. Les pièces aussi sont une casse-tête. Celles d'un, de deux et de trois kopecks de l'ancien modèle restent en circulation à leur valeur nominale. Les matheux en déduisent immédiatement que leur pouvoir d'achat va automatiquement être multiplié par dix. Pour faire fortune, il suffit de convertir ses anciens roubles en très petite monnaie et d'attendre un peu. Résultat, du jour au lendemain, plus une seule de ces pièces ne circule dans le pays.
On raconte qu'une clocharde de province, qui a eu la bonne idée d'accumuler de la ferraille pendant dix ans dans des bidons à lait, s'est retrouvée à la tête d'un patrimoine.
On exagère, on invente, on fantasme.
N'empêche, combattre les spéculateurs est une priorité.
Mobilisation générale !
Le traitement commence toujours par un examen de proximité : on interroge discrètement les voisins, les collègues. On dresse une carte des cercles fréquentés, des centres d'intérêt.
L'exercice peut paraître fastidieux, mais il est toujours payant à long terme. Tel éminent ethnographe conserve chez lui plusieurs exemplaires du Docteur Jivago - qu'il loue à la semaine pour arrondir ses fins de mois. (Quatre ans de camp). Telle doctorale en histoire, d'origine polonaise, se permet de mener une enquête personnelle sur les massacres de Katyn, et compile dans un cahier fétiche des témoignages de paysans biélorusses. (Exclusion immédiate de l'université. Son père, doyen de la faculté de musicologie, est révoqué dans la foulée.)
Parfois, en regardant un schéma où les noms des citoyens potentiellement coupables sont entourés de rouge, le lieutenant Ivanov se sent l'âme d'un éleveur de chèvres. Il sélectionne les bonnes bêtes, élimine les gâtées, veille à la sécurité de son cheptel. C'est un devoir, une responsabilité.
N'en fais pas trop, lui conseille cependant Nikonovitch. Avoir une vision d'ensemble est une bonne chose à condition que tes supérieurs se sentent valorisés.
Tout un art.
C’est rageant de mourir dans un appartement neuf.
Huit et demi
Après qu'un jury international lui a décerné le premier prix au Festival de Moscou, on s'est affolé dans les cénacles : comment montrer ce film aux citoyens alors que Mastroianni est à l'évidence contaminé par l'idéologie bourgeoise, tandis que l'art que pratique Fellini est à l'opposé du réalisme socialiste?
Tel un savant fou et altruiste, Khrouchtchev déide de tester le poison sur lui-même. On lui organise une séance privée. Le brave homme s'endort au bout de vingt minutes. Huit et demi est jugé soporifique et inoffensif.