Léviathan

Il devait pourtant y avoir de beaux jeunes gens de par le monde, mais, par une espèce de fatalité, tout ce qu'il y avait de pauvre et de vilain semblait s'être réuni chez sa tante.

Première partie
Chapitre IX

A certaines heures de solitude, la nuit, lorsqu'il faisait trop chaud pour dormir, le jour, si elle était trop lasse pour se promener, elle entrevoyait son avenir comme une longue succession de semaines, semblables les unes aux autres, ou variées simplement par les maladies et les infortunes.

Première partie
Chapitre IX

Sans être pieuse, elle aimait à se reposer à Saint-Jude. Sa foi se bornait à réciter de temps à autre une courte prière, avec le sentiment confus que cela n'engageait pas à grand-chose et que cela ne pouvait pas faire mal. Elle n'aimait pas non plus que les clients de sa tante se moquaient du curé; et c'était tout, les cérémonies l'ennuyaient.

Première partie
Chapitre IX

Mi-gothique, mi-romane, et rajeunie au dix-septième siècle, c'était une de ces églises qui meurent tristement dans l'oubli, presque toujours vides, mais où des générations croyantes ont laissé comme un souvenir de leur ferveur.

Première partie
Chapitre IX

A cinquante ans passées, et avec une longue expérience de la curiosité, elle n'avait pas encore compris que le but de sa passion n'était pas de transformer l'inconnu en connu, mais de rechercher l'inconnu pour lui-même et de vivre dans son voisinage. c'était peut-être ce que la nature tentait de lui faire entendre en la privant de l'intuition ordinairement accordée aux femmes.

Première partie
Chapitre VIII

Elle dominait son groupe de clients par la connaissance minutieuse qu'elle avait de leur petite vie quotidienne. Sa passion grandissait les choses. (...)
Mais, par une espèce de jeu cruel, la nature avait refusé à cette femme les facultés divinatoires qu'elle semblait lui devoir et elle s'était contentée de la livrer à un des instincts les plus impérieux du monde sans lui fournir les moyens de l'apaiser. Le seul don qui eût été départi à Mme Londe était celui de deviner, non pas un secret, mais la présence d'un secret. Elle était toujours avertie du mystère que toute seule elle ne fût jamais parvenue à pénétrer.

Première partie
Chapitre VIII

La nature a là quelque chose d'indéfinissable; les arbres n'y sont point comme les autres arbres, et le ciel derrière ses nuages semble cacher une pensée secrète dont le mystère ne communique aux pierres des maisons, à l'eau du fleuve, et leur prête un air de complicité sinistre.

Première partie
Chapitre VIII

Le bruit de l'eau se mêlait au bourdonnement qui emplissait sa tête. "Toujours, semblait murmurer la rivière, toute la vie de même, toute la vie."

Première partie
Chapitre VI

Pendant quelques minutes il considéra ce paysage heureux et calme, si peu en accord avec la tristesse et l'inquiétude qui lui déchiraient le coeur. Il devenait trop vieux pour apaiser son chagrin avec de faux espoirs, il se sentait trop fatigué aussi. Après des années et des années d'aventures, de désillusions, de dégoûts, il arrive un moment où l'âme n'en peut plus et refuse d'obéir au corps, de le suivre dans sa honte.

Première partie
Chapitre VI

Ce jour-là, il se laissa tomber sur un banc non loin du parapet. Une brise légère soufflait en murmurant dans les branches au-dessus de sa tête et il sentait sur la chair de ses mains la faible caresse du soleil d'automne. Dans le ciel pâle des oiseaux poussaient des cris qui ressemblaient à des adieux. L'air était clair, la vue se portait au loin sans effort et découvrait, par-delà les maisons de l'autre rive, une route bordée de champs noirs, (...).

Première partie
Chapitre VI