Elle ne savait plus quoi faire de moi. Elle n’avait plus la force de me faire la guerre ou de me maintenir en vie. De m’attendre jusqu’au petit matin lorsque je disparaissais en pleine nuit. De se rendre aux convocations du proviseur. De m’envoyer chez la psy. De retrouver des dessins surchargés sur mon oreiller et des bouteilles vides sous mon lit. Ma mère ne se sentait plus capable de cohabiter avec mes démons, de m’empêcher de me détruire.
C’est aux adultes que j’en veux à mort. Je quitte la cuisine et la scène de bonheur matinal que je viens de ruiner juste en existant.
Dans notre famille, tous les enfants reçoivent un chien à leur treizième anniversaire, me raconte le bavard. C’est une façon de nous responsabiliser et de nous accompagner dans l’adolescence. Pour avoir quelqu’un avec qui devenir adulte, quoi. Un compagnon de route pour notre future vie. C’est nous qui les avons choisis.
Ce n’est qu’une fois la porte refermée que je m’autorise enfin à respirer. Je trouve une chambre soignée, spacieuse, aux grandes baies vitrées donnant sur le parc. Je m’assieds contre le mur le plus proche, à même le sol, dans un recoin à l’abri de la lumière, puis je vide mon sac et en sors mon ordinateur portable. Je me connecte au wi-fi comme une junkie, les mains tremblantes, pas de mot de passe requis, mon cœur fait des bonds à chaque son, chaque fenêtre qui s’ouvre, mes doigts pianotent dans le vide pendant que Skype démarre, m’identifie, plus long que d’habitude, pas normal, ah si, j’y suis. Je lâche un lourd soupir.
Autour, pas un voisin, pas une maison, pas un magasin, pas de cage ni d’enclos comme je l’imaginais. Pas même une odeur lointaine ou un bruit d’animal. Pas une trace de présence humaine. Je suis sûre que mon cri me reviendrait en écho si je hurlais mon effroi d’être là. On se croirait littéralement seuls au monde. Sous un ciel sans nuages, au milieu d’un désert d’herbe et de terre, prêt à vous engloutir si vous ne décidez pas de rompre vous-même le silence.