« Dolce Vita : 1959 – 1979 » est un récit historique, une enquête journalistique, une analyse socio politique. C'est surtout un roman et de la littérature.
Les années soixante soixante-dix ce sont, en Italie et ailleurs, un grand et terrible foutoir qui mêle culture, politique et moeurs. C'est un indémêlable imbroglio entre les Brigades rouges, l'extrême-droite et diverses services secrets ; entre le Vatican et la loge maçonnique P2 ; entre des faits divers scabreux, des scandales et des secrets politiques… le roman n'a que faire de mettre de l'ordre dans tout cela, de construire un « idéal type » explicatif. « La politique est la grande génératrice et la littérature la grande particularisatrice, et elles sont dans une relation non seulement d'inversion mais aussi d'antagonisme » (…) «Rendre la nuance telle est
la tâche de l'artiste. Sa tâche est de ne pas simplifier. Même quand on choisit d'écrire avec un maximum de simplicité, à la
Hemingway,
la tâche est de faire passer la nuance, d'élucider la complication, et d'impliquer la contradiction. Non pas d'effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l'intérieur de ses terme, se situe l'être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Il faut lui donner droit de citer. Autrement on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu'elle aimerait se voir mise en publicité» nous dit
Philip Roth un autre écrivain préoccupé d'histoire et de politique. Les acteurs sont perdus, manipulés et les lecteurs naturellement pas toujours à leur aise. L'Italie de ces années là est emplie des relents de son passé fasciste, saturée de violence politique et privée, elle est en pleine déliquescence morale. C'est une période de confusion extrême mais sans aucun doute aussi un moment de grande créativité, de réflexion intense et de remise en cause généralisée. C'est une véritable crise d'adolescence d'une partie des acteurs de l'espace politique – au sens où l'entendait
Jean Piaget. Ce microcosme confond les choses de l'intelligence et l'intelligence des choses. En 1960, c'est la première représentation du film de
Fellini éponyme du roman. L'auteur, au début de son livre, fait revivre ce moment. Elle décrit des scènes entières de « la Dolce Vita ». L'ambiance de cette période lourde, légère, dramatique, imaginative et frivole est ainsi remarquablement reconstituée. C'est le monde dans lequel l'antipathique Prince Malo a vécu. Celui qui l'a façonné et qu'il a façonné. Il se confesse à un Jésuite avant de mourir. L'espace social, lui, recroquevillé, efficace, préoccupé de production et de consommation à outrance se développe sans mesure. Il nait, comme l'avait souligné
Hannah Arendt, une société dépolitisée dans laquelle l'indifférence aux affaires publiques, l'atomisation, l'individualisme, le déchainement de la compétition ne trouvent plus de limites et font craindre le pire : la sénilité incapable même d'imagination, le berlusconisme. le roman fait revivre
Pasolini et quel plaisir de l'entendre à nouveau : « L'Italie pourrit dans un bien être qui est égoïsme, stupidité, inculture, commérage, moralisme, intimidation, conformisme ». Les pages se tournent, 1959 – 1979, le temps d'une génération nous achemine du film de
Fellini au lendemain de l'assassinat d'
Aldo Moro et à la veille de l'attentat meurtrier de la gare de Bologne.
Simonetta Greggio est un auteur plein de talent. Ce récit est remarquablement construit, les brèves, les flashbacks, comme au cinéma dont il est beaucoup question dans ce livre, se succèdent sans transition mêlant le réel et la fiction. Je ne peux que vous conseiller ce roman passionnant et bien écrit.