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Citations sur Artaud / Joyce, le corps et le texte (130)

"C'est parce que rien n'est égal, c'est parce que tout baigne dans sa différence, dans sa
dissemblance et son inégalité, même avec soi, que tout revient. Ou plutôt tout ne revient pas"
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Pour Artaud comme pour Joyce, on reproduit du même, on répète de
l'autre et si leurs textes progressivement s'inscrivent dans une répétition de plus en plus
systématique (de structures, de textes, de thèmes, citations et auto-citations à l'infini), c'est parce
qu'ils cherchent l'un et l'autre à arrêter la reproduction de la mort. Et d'abord dans l'ordre
linguistique, dans cette langue usée, cette langue morte que l'on se passe de génération en
génération192, et la diction qui déforme et répète de travers ranime les langues épuisées :
"xylophénie", polyglossie.
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Derrida insistait sur la volonté d'Artaud d'effacer de la scène de la cruauté la parole et
l'écriture "dictées". Rappelant la phrase où celui-ci critique "la dictature de l'écrivain" et la
superstition du texte, il concluait qu'Artaud vouait aux mêmes gémonies l'écriture dictée, la
dictature du texte et la diction, "qui faisait du théâtre un exercice de lecture"189. Mais la diction
pour Artaud ne s'inscrit pas, selon nous, dans ce paradigme de la soumission à "la parole
soufflée". Elle en est même l'inverse. La diction est cette force répétitive qui imprègne le discours
et déstabilise l'ordre linéaire : vibration, rythmes. C'est cette "efficacité envoûtante" des
répétitions incantatoires de phonèmes et de sons qu'il a tenté d'expérimenter au théâtre : "Des
répétitions rythmiques de syllabes, des modulations particulières de la voix enrobant le sens
précis des mots [...]" (IV, 117).
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"cette grande voix anonyme qui
profère un discours venu du fond des âges, issu du tréfonds de l'esprit" (Levi-Strauss)
Artaud ne dit pas autre chose lorsqu'il voit dans les rites l'action d'une force que la
science est selon lui, en train de redécouvrir. Que l'on dépouille les rituels religieux de leur
appareil superstitieux, suggère-t-il, et l'on redécouvrirera ces "moyens rituels scientifiques" qui
leur donnaient leur efficacité sociale et psychologique, avec la même légitimité que ces lois
énergétiques qui régissent l'univers physique. Pour indiquer que la science elle-même et
singulièrement "les dernières découvertes psychologiques" admettent notre union "à la vie
générale", il s'appuie sur des hypothèses qui semblent évoquer, sans la nommer explicitement, la
théorie freudienne des fantasmes originaires constituant un patrimoine transmis
phylogénétiquement; "l'inconscient de chaque être humain, écrit-il ainsi, possède un trésor
d'images archaïques" dont on retrouve les traces dans les plus anciennes civilisations :
"Nous participons à toutes les formes possibles de la vie. Sur notre inconscient
d'homme pèse un atavisme millénaire. Et il est absurde de limiter la vie. Un peu de ce que
nous avons été et surtout de ce que nous devons être gît obstinément dans les pierres, les
plantes, les animaux, les paysages et les bois.
Des particules de notre moi passé ou futur errent dans la nature où des lois
universelles très précises travaillent à les assembler. [...]
Avoir conscience de tout ce qui, matériellement, nous unit à la vie générale est une
attitude scientifique que la science d'aujourd'hui ne peut nier [...]" (VIII, 227-228).
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"Plus l'homme se préoccupe de lui, plus ses préoccupations échappent en réalité à
l'homme.
égocentrisme individualisme et psychologique
opposé à l'humanisme,
l'homme quand on le serre de près, cela aboutit toujours à trouver ce qui n'est pas
l'homme,
la recherche du caractère, c'est la recherche de la séparation,
c'est de la spécialisation anti-humaine.
La psychologie n'est pas la science de l'homme, au contraire" (VIII, 115-116).
Et dix ans plus tard, Artaud écrira encore en commentaire à ses dessins, dans un texte qu'il
intitule Le visage humain : "J'ai fait venir parfois, à côté des têtes humaines, des objets, des arbres
ou des animaux parce que je ne suis pas encore sûr des limites auxquelles le corps du moi humain
peut s'arrêter"1
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C'est pourquoi il nous faut retrouver, écrit-il dans ses textes mexicains, une "culture de
masse". Si l'expression a pu prêter à confusion, elle ne signifie rien d'autre pourtant que son
opposition réitérée aux particularismes individuels de l'humanisme occidental. En témoigne cette
profession de foi, plus métaphysique que révolutionnaire au sens politique du terme, que l'on
relève dans un texte intitulé Le Mexique et la Civilisation, probablement rédigé à Paris peu avant
son départ pour le Mexique : "Une civilisation, où seuls participent à la culture les gens qu'on
appelle cultivés, et qui possède de la culture une idée soi-disant réservée [...] est une civilisation
qui a rompu avec ses sources primitives d'inspiration" (VIII, 129). Artaud ne fait que redire ici
son horreur des séparations et des dualismes. En ce sens, si ses messages au Mexique sont
"révolutionnaires" c'est dans l'acception qu'il avait donnée au terme en 1927 dans Point final, en
réponse aux engagements politiques des Surréalistes : "La Révolution est d'essence spirituelle
pure" (I**, 68).
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Or, Artaud le souligne constamment, cette poésie en acte dont il rencontre le témoignage
dans les anciennes cultures n'est jamais la poésie d'un sujet individuel. Qu'il s'agisse des cultures
mexicaines, des rites solaires d'Émèse, des textes liturgiques de l'Inde ou de l'Égypte, ce qui
l'intéresse ce sont précisément les traces encore décelables de positions d'énonciation différentes
de celles de la subjectivité occidentale clairement définies et circonscrites à un individu
psychologique. C'est notre conception limitée du sujet, suggère Artaud, qui le réduit à la logique
d'un Je individuel. Il est un autre sujet, une autre énonciation à retrouver, celle d'un "système
d'échanges concrets entre l'homme aux sens retournés, et le monde injecté de forces qui le
traversent de tous les côtés" (VIII, 261).
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S'il est vrai que l'écriture produit un acte, on peut noter que Lévi-Strauss n'était pas très
éloigné de la volonté d'Artaud de rapprocher force magique et discours poétique lorsque, à
propos de l'efficacité symbolique du mythe, il évoquait lui-même une autre « propriété
inductrice », celle de la métaphore : "La métaphore poétique fournit un exemple familier de ce
procédé inducteur; mais son usage courant ne lui permet pas de dépasser le psychique. Nous
constatons ainsi la valeur de l'intuition de Rimbaud disant qu'elle peut aussi servir à changer le
monde"183. Au-delà de cet "usage courant" de la métaphore, Artaud affirme l'existence d'un
discours poétique symboliquement efficace (ce qui ne s'entend pas seulement au sens restreint de
la guérison ou de la catharsis), un discours qui produit comme le manas des Mexicains un
"dégagement d'énergies réelles". Son projet est clair : retrouver dans son écriture la force
performative du théâtre oriental, cette "efficacité physique sur l'esprit" des danses balinaises (IV,
45). Dans les rites solaires d'Héliogabale et des Tarahumaras ou encore dans la poésie maya, il
postule l'existence d'une force d'ébranlement de la réalité "dont la morsure ne s'est jamais
épuisée" :
"Ni les images de leurs poèmes tonnants qui font affleurer au dehors leurs organes et
leur retournent la sensibilité comme un gant, ni les hiéroglyphes de leurs dieux toujours
armés, toujours tonnants, n'ont épuisé leurs nerveuses emprises [...]. Alors que nous
cherchons en vain parmi nous quelque poème où le sang parle [...]. Si la magie est une
communication constante de l'intérieur à l'extérieur, de l'acte à la pensée, de la chose au
mot, de la matière à l'esprit, on peut dire que nous avons depuis longtemps perdu cette
forme d'inspiration foudroyante, de nerveuse illumination" (VIII, 131).
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Cependant, puisque Lévi-Strauss voit volontiers dans le chaman l'ancêtre du
psychanalyste et dans la psychanalyse "une branche de l'ethnologie comparée, appliquée à l'étude
du psychisme individuel"178, rien n'interdit de considérer que contrairement à ce que postule
l'anthropologue, le chaman travaille tout comme le psychanalyste, à partir d'une énergie
transférentielle induite dans la cure. Refuser de l'admettre équivaudrait alors à adopter la position
du premier Freud cherchant à limiter la violence transférentielle de ses patientes hystériques pour
maintenir au cadre analytique la rigoureuse asepsie d'un champ opératoire. Comme le montre
Serge Viderman, c'est au nom de la rationalité scientifique que Freud avait d'abord voulu isoler
dans le transfert un sens pour mieux se débarrasser de sa force : "Le transfert est d'abord inconnu
ou vaguement entr'aperçu, méconnu et suspecté; puis tenu pour plus embarrassant qu'utile, plus
nocif qu'efficace, obstacle à la cure, résistance supplémentaire dont l'analyste se passerait bien : il
est devenu notre croix"179. Réintégrer dans le champ de l'analyse scientifique cette force qui lui
était d'abord apparue aussi peu admissible que les puissances occultes dont parlent les mythes
n'est sans doute pas l'un des moindres mérites de Freud. Qu'il puisse y avoir, sous certaines
conditions de l'échange intersubjectif, une force à l'oeuvre dans le sens, c'est ce que Freud
admettra finalement en reconnaissant dans le transfert "ce lieu ambigu où s'unissent la
signification et l'énergie"180. A la différence du chaman le psychanalyste dispose d'une théorie
qui encadre le transfert et lui permet d'alterner l'impact de cette force qui l'affecte dans le
transfert et la mise à distance interprétative.
"Est magique pour moi ce qui entraîne à l'acte", écrit Artaud (IV, 217), marquant ainsi le
lien qui unit, dans l'écriture rituelle qu'il cherche à retrouver, la force et le sens. Ecriture
"magique" - traduisons : transférentielle et performative. Ecriture qui relève de ce que J.L. Austin
dans sa théorie des actes performatifs nomme une "force illocutoire", cet excès de l'énonciation
sur l'énoncé qui fait qu'en disant, je produis un acte181. Il nous faut poser ce principe que toute
lecture vraie d'Artaud ne peut éviter de se soumettre dans un premier temps à la réalité agressive,

176 Ibid. p. XLVI. Pour une critique de cet "idéal de totale atopie du sujet théoricien", non contaminé par la parole
sauvage : J. Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts. La Sorcellerie dans le Bocage, Gallimard, 1977, p. 26.
177 "Magie et Religion", Anthropologie structurale, Plon 1958.
178 "Totem et Tabou version Jivaro", La potière jalouse, Plon, 1985, p. 252.
179 Serge Viderman, La construction de l'espace analytique, Denoël, 1970, rééd. Gallimard, coll. "Tel", 1982, p. 39.
180 Ibid., p. 304.
181 J.L. Austin, Quand Dire c'est Faire, 1962, trad. Gilles Lane, Seuil, 1970.
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déstructurante, de cette force illocutoire; c'est ensuite seulement que s'effectue la mise à distance
permettant d'élaborer l'interprétation. En ce sens la lecture se fraye un chemin entre deux écueils
(si l'on excepte le rejet pur et simple de textes réputés "fous" ou illisibles, ce qui préserve de tout
danger de contamination).
Le premier définit une lecture sans recul qui se borne à adhérer au
texte sans s'en "déprendre" au sens où Barthes parlait de se défaire d'une certaine "colle"
imaginaire ou, ce qui revient au même, une lecture qui le réinscrit par un déplacement minimal
dans le cadre de la pensée magique, alchimique ou gnostique dans des interprétations qui tournent
en rond182. Le second écueil au contraire consiste à n'approcher le texte que muni d'un bouclier
théorique ou interprétatif érigé a priori, protection sans doute commode mais qui fait écran à la
lecture d'une oeuvre dont on oublie parfois le caractère littéraire.
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« Or nous voudrions rendre à la poésie son sens dynamique et virulent, ses vertus de
chose magique. Et concevoir alors la magie comme un dégagement d'énergies réelles, selon
une manière de rituel précis. Nous voudrions réveiller ce manas, cette accumulation
dormante de forces qui s'agglomèrent en un point donné. Manas signifiant la vertu qui
demeure, et qu'on assimile au latin manere, d'où est venu notre mot permanent" (IV, 217).
La cruauté, cette énergie paradoxale qui articule la masse et le signe du discord théâtral,
réapparaît ici sous d'autres noms : l'anarchie d'Héliogabale, le manas des Mexicains. C'est la
même force de dissolution des différences et des particularismes individuels dont il poursuit
l'exploration dans les rituels syriens et mexicains. Pourtant ce qui le conduit à retrouver par-delà
les siècles ou l'éloignement des rivages ces témoignages d'autres civilisations n'est nullement un
intérêt anthropologique; c'est le regard d'un écrivain qu'Artaud porte sur ces cultures173. Ce qu'il
y cherche : les traces d'une écriture. Une écriture vivante qui agisse dans le réel et permette
comme les hiéroglyphes balinais de retrouver l'efficacité oubliée des signes vivants. Chez
Hiélogabale l'intéresse l'inscription de ses noms dans le rite et des rites sanglants dans la chair;
dans "la montagne des signes" mexicaine, l'écriture gravée à même les pierres et les corps
d'hommes sculptés comme des signes dans la roche. Dans ce va-et-vient des corps aux signes, la
même force d'articulation est à l'oeuvre : anarchie, manas.
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