Et je me dis que le bonheur et la douleur allaient ensemble, et que nous ne pouvions pas savoir à l'avance quand l'un ou l'autre prendrait l'avantage.
Ces deux mots, "adultère" et "liaison" , n'ont aucun rapport avec ce qui nous arrive. Notre histoire est hors de cette nomenclature de la trahison.
Jusqu’à quel point sommes nous capables de connaître l’autre ? Il reste toujours une zone insondable, un espace où sont nichés les sentiments les plus bas, un territoire obscur, qui bien souvent n’est même pas visible à nos propres yeux, car dans le cas contraire le délicat échafaudage que nous avons dressé au cours de notre existence s’effondrerait d’un seul coup.
Je me rappelai la malice avec laquelle tu citais Einstein pour te justifier. Du genre : si un bureau en désordre est le signe d'un esprit désordonné, que penser d'un bureau vide.
Mais tu es partie avant, Vera, et tu m'as laissé en route, orphelin de ta parole et de tes silences calmes, orphelin de ce monde que nous partagions, le tien et le mien, mais auquel je ne savais comment retourner sans ton aide.
Tu me disais souvent que toute la richesse d'un créateur, c'étaient ses fractures, ses incertitudes, ses questions et ses faiblesses, le doute constant de la raison ultime des choses. C'était à travers ces failles que pouvait surgir ce qui n'avait jamais été là auparavant.
La vie apparaissait devant moi, à la fois immense et diffuse, sans commencement ni fin.
Que puis-je faire de cette paix qui se faufile dans les interstices en m'étouffant, et que vous autres appelez le bonheur ?
De temps en temps, elle s'aventurait à m'envoyer un poème. Vera avait pleinement conscience du poids de chaque mot, de son éclat ou de son opacité. Elle les traitait avec précaution, évitant tous les faux pas, avec une telle prudence associée à sa passion, qu'elle avivait de façon inédite ma propre écriture.
Certains jours, je pensais qu'elle ne me répondrait pas, que j'avais eu tort de franchir cette ligne indicible qui, paradoxalement, avait permis notre rapprochement. Quand, au milieu des avatars de la journée, je me rappelais que je n'avais pas encore reçu sa réponse, et que je ne la recevrais sans doute jamais, je me promettais de ne pas renouveler une telle proposition, si elle m'écrivait encore. Notre amitié s'était forgée dans les lettres, et aspirer à lui donner une autre forme, c'était la détruire.