- Vous vous croyez où ? Tous à vos places ! Et dans le calme !
M. Delage était un vieux con qui avait dû faire cours à leurs ancêtres à l'époque des bouliers et des trousses en bois.
(p. 48)
Lila regrettait parfois l'école primaire. Plus proche. Plus petite. Plus calme. Les élèves du collège lui faisaient penser à un troupeau de gorets.
Se méfier surtout des 4èmes. Qui faisaient constamment les malins. Qui méprisaient les 6èmes et les 5èmes. Qui se prenaient pour des grands. Pas encore aussi grands que les 3èmes. Mais bien plus excités et bien plus cons.
Les 3èmes marmonnaient entre eux la plupart du temps. Les 4èmes ne marmonnaient pas. Les 4èmes gueulaient-meuglaient-beuglaient en permanence. « Mytho ! » « Suce ma bite ! » « Ta mère ! » « Je te défonce ! » Les mecs de 4ème se traitaient de « grosse pute ! » entre eux et ça les faisait marrer.
(p. 20)
Il était pieds nus. Personne ne l'avait vu ôter ses chaussures mais tout le monde le découvrit pieds nus sur le béton frigorifié de la cour, dans la partie proche du réfectoire, à l'angle du terrain de handball. Debout. Silencieux. Les cheveux dans les yeux. Sa peau aussi pâle que des cendres froides. Les veines de son cou comme des anguilles vertes. De la mousse au coin des lèvres. Des larmes sur les joues. Silencieux mais des cris dans tous les membres. Comme si un marionnettiste survolté le secouait en agitant des fils invisibles. Larmes et morve se mélangeant. Puis soudain immobile. Tanguant doucement. Bizarrement. Ses larmes qui roulaient. Sa bave qui coulait en engluant le sol.
(p. 64-65)
Plus de morts que de vivants dans la cour. Et presque tous les vivants connaissaient presque tous les morts. Certains connaissaient même désormais plus de morts que de vivants.
Certains pleurnichaient. Certains grelottaient. Certains déliraient.
Tous sûrs que le monde dont ils avaient l’habitude, le monde qu’il croyait connaître, le monde qui les avait maintenus debout jusque-là, n’existait plus.
Les délires, les inventions, les éclats de rire, tout ça disparut. D’un seul coup. En même temps que les hésitations, les incertitudes, les perplexités.
A 10 h 05, dans la cour, pour que tous puissent être sûrs de la gravité de la situation, pour que plus aucun doute ne soit permis, pour que les fondations de la peur s’imposent à chacun, la mort frappa l’un d’entre eux, sous leurs yeux, de façon injustifiable mais irréfutable, implacable et définitive.
Déjà une centaine de versions différentes traversait la cour à propos des mêmes scènes. Plus ou moins claires. Plus ou moins parcellaires. Plus ou moins aléatoires. Mais tout se recoupait. Rapidement. Et tout s’assemblait. Pièce par pièce.
Personne ne connaissait le nom de ce truc-là mais tous l’appelaient « la foudre ».
Ils n’en savaient pas assez pour pouvoir comprendre. Tu parles. Ils en savaient suffisamment pour savoir que ça n’avait aucun sens.
Le bouche-à-oreille fonctionnait en tout cas à plein tube. Relayant les événements dans le désordre et la cacophonie. De ceux qui avaient vu à ceux qui n'avaient pas vu. De ceux qui avaient entendu à ceux qui n'avaient pas entendu. De ceux qui savaient à ceux qui voulaient savoir. Et tout le monde voulait savoir.