Trois roses rouges

La glace brillamment éclairée lui renvoyait l’image d’une fille mince à la silhouette de mannequin. Son visage triangulaire était encadré de cheveux lisses qui tombaient droit sur ses épaules comme un rideau de soie.
Ce qui frappait avant tout, c’étaient ses yeux, immenses, d’un bleu foncé presque violet. Ses prunelles s’assombrirent encore lorsqu’elle se pencha en avant, scrutant d’un air navré les quelques taches de rousseur qui parsemaient son petit nez droit. Elles ajoutaient un charme espiègle à son expression. Pourtant, elle les détestait, et à de multiples reprises, elle s’était efforcée de les effacer, utilisant pour cela mille recettes. Sans le moindre résultat…

Ce que je crois, c’est que tous les architectes devraient écrire... Quelques lignes par jour, hygiéniques. Tout simplement pour se dégorger du langage, pour crever l’abcès de langage, qui les fait discourir plutôt que dessiner… Comme ces birthday cakes américains aux formes incroyables mais qui sont immangeables. Un gâteau, ça se mange, bon sang. Et un immeuble s’habite. Le langage qui n’est pas libéré leur reste dans la poitrine comme une excroissance et fait dévier leur travail de la même manière qu’un champ magnétique fait vaciller l’aiguille d’une boussole… ou comme moi quand je suis en présence d’une femme attirante alors que je n’ai pas baisé depuis un mois !

Il voyait dans la flèche son désir, celui qui file vers sa cible sans tourner autour du pot – une flèche mortelle, il s’en rendait bien compte, un toboggan vers la fin de tout –, et le chemin plus vital, plus sinueux, de la modération, autrement dit de la civilisation. Inutile de dire que ce schéma était pour lui quelque chose d’organique et non pas – tant s’en faut – le fruit d’une réflexion hypothético-déductive. Il avait engendré ce schéma comme on forme un calcul biliaire ; mais c’est parce qu’il venait d’une fulgurance irraisonnée que ce dessin avait une valeur à ses yeux – celle d’une clé, d’un passe universel.

Voilà ce qui se passe quand le discours prend le pas sur l’architecture réelle, sur les idées proprement architecturales… On obtient des lieux absurdes, épate-bourgeois, inhabitables… Comme quand on découpe le poisson pané en forme de petit poisson pour atténuer auprès des enfants le scandale de son assassinat.

Certains perçoivent l’humanité comme une chose accablante, et Augusta m’avait déjà laissé comprendre que c’était son cas quand nous avions parlé de psychanalyse, un jour. Il lui semblait que l’erreur de la psychanalyse était de n’avoir pas compris que nous étions fondamentalement des animaux.