L'heure n'est pas au fracas d'une terrible bataille navale, ni au péril d'une sombre tempête, ni d'ailleurs à l'ennui de ces interminables jours passés en mer.
C'est sur une petite provocation que s'ouvre ce malicieux petit ouvrage.
Maurice Guierre, écrivain autant qu'officier de marine, est d'humeur folâtre.
L'Histoire, quand elle s'humanise, peut prendre un joli visage.
Le propos est, ici, de relever les traces de la vie sentimentale du marin, de situer la place occupée dans sa vie par l'épouse, par la maîtresse et par la fille des rues ...
Le ton est celui du marivaudage et de la galanterie.
Mais c'est juché sur l'Histoire et sur une solide bibliographie que Maurice Guierre entame son esquisse.
"La femme et le marin" est un livre savoureux.
Il s'ouvre sur quelques souvenirs, ceux des femmes indigènes qui reçurent les premiers navigateurs.
Le marin est poursuivi en mer d'un doux et triste chant.
Un peu sous l'influence des maris médisants, un peu par la connaissance de sa conduite, la réputation du marin s'est établie :
Conquérant brutal ? Homme joueur et débauché ?
Amant inconstant ?
Quel est le vrai visage du marin ?
Maurice Guierre laisse aussi bavarder les hommes de plume.
Il cite de nombreux auteurs :
Claude Farrère, Pierre Loti, Albert Touchard, Louis Guichard ...
Si "La femme et le marin" pour tout lecteur est un délice, l'on peut facilement imaginer ce qu'il peut être pour l'ancien marin qui a pratiqué, durant quelques années, l'art délicat de l'escale !
"Où sont-ils, camarade, nos vieux chahuts d'antan ?"
Entrelaçant Histoire, Littérature, malice et souvenirs, Maurice Guierre signe un livre délicat, intelligent et sensible, un ouvrage d'une étonnante et fine littérature maritime où le marin, pour une fois, n'obtient que le second rôle.
Le premier lui ayant été ravi par celle qui a l'habitude de s'effacer, d'attendre et d'aimer ...
Une deuxième partie, "Quelques marins et quelques femmes" est composée d'une quinzaine de récits dont je ne peux résister à la tentation de vous citer quelques titres évocateurs :
- "Un corsaire qui joue avec le feu : Jean-François Doublet de Honfleur"
- "Le chevalier de Tourville aurait-il "cocufié" son ministre ?"
- "Et nous les hommes"
- "Les frères de la Coste et les femmes"
- "Un marin ravisseur : Forbin"
- "Le chevalier Forbin (encore lui !) et la fausse grossesse"
- "Mr de Kerguélen et la belle Louison"
- "La belle amoureuse de l'île aux démons"
Et pour finir "La jolie nièce de l'abbé Jouin", superbe petit moment de grâce littéraire, qui est une lettre de Maurice Guierre à l'abbé, jetée, à travers le temps, comme une bouteille à la mer, au hasard des courants et des sentiments ...
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L'homme est libre et la mer est grande
La femme : un sillage ! Et bon vent !
Et le bon vent poussera Forbin dans le sillage de plus d'un cotillon ...
Je ne t'ai pas oubliée, Furtina, petit oiseau, qui, dans ma chambre de bord, te proclamas, toi-même, ma blanchisseuse attitrée et prétendis me fournir, sans plus tarder, des confitures de goyaves et d'autres douceurs plus personnelles.
Ni toi, Théodamie, maîtresse en vérité un peu mûre d'un mien camarade auquelle tu révélas les folles caresses de Manon.
Ni vous toutes avec qui nous prenions nos bains dans la rivière Madame, nus et innocents comme le premier Caraïbe ...
Non plus que toi, ô farouche garde-champêtre, superbe noir vêtu d'un uniforme vert, qui nous dressas procès-verbal en invoquant le code Napoléon ... toi, noir si officiellement vêtu en face de nous, blancs, si indiscutablement nus ! ...
Le marin n'est pas éternellement l'insouciant coureur des mers.
Il est fatigué parfois d'être du vent qui souffle et de la mer qui déferle.
Il aspire alors à être de la chair et des os, à vivre humainement comme tout le monde.
Une tendresse féminine lui est nécessaire.
Une tendresse qui pourra le soutenir, le grandir même, pourvu qu'au moment voulu elle sache s'effacer devant le vent qui souffle et la mer qui déferle à nouveau.
Rôle délicat, certes, et qui demande une singulière constance d'âme, mais quoi ?
Que demandons-nous à la vie ?
La chute monotone, goutte à goutte, des minutes qui passent ou, entre deux luttes, une magnifique envolée sur les ailes de la gloire et de l'amour ? ...
Il n'est pas homme au monde plus sensible que le marin à l'attrait de la femme ; il n'est pas femme au monde qui ne soit attirée, et parfois retenue, par ce mystère qui git au cœur du marin ...
Quand deux flibustiers rencontrent une belle femme, pour éviter la contestation qu'elle feroit naître, ils jettent à croix pile à qui l'épousera.
Celui que le sort favorise l'épouse, ensuite ils couchent alternativement avec elle.
Cela s'appelle "matelotage" ...
(Oemelin : tome I page 130)