Ce livre est plein du gargouillement de l'eau qui entre dans les ballasts, et du sifflement de l'air qui s'en échappe.
"
Sous-Mariniers" est un livre de
Maurice Guierre, paru en 1948 aux éditions "Flammarion".
Maurice Guierre était un marin et un romancier.
Acteur de l'épopée sous-marine naissante, il en devint un des historiens, un témoin de la "chose" sous-marine vécue.
Mais que l'on ne s'y trompe pas,
Maurice Guierre n'était pas un guerrier, un de ceux qui se battent le flanc en appelant à l'héroïsme, au sacrifice et au champ d'honneur.
Pourtant, même s'il se désole ici que cette "garce" de guerre soit revenue une deuxième fois,
Maurice Guierre était homme de devoir.
Ce livre est un hommage vibrant, en même temps qu'un témoignage précieux.
Il est documenté et précis.
De Londres aux fjords de Norvège, des débarquements clandestins en Corse aux patrouilles dans le Skagerrak, de la fuite des sous-marins français de Toulon aux opérations des forces navales de la France libre, il fait le compte de deux guerres.
Cependant, intérêt et principal, le charme et la curiosité de ce livre sont qu'il soit tout d'abord une galerie de portraits.
C'est là toute l'originalité du livre de
Maurice Guierre.
Il s'ouvre sur une amourette sans importance.
Michu, un jeune enseigne de vaisseau, croit aimer Lucette et, de Toulon, va se lancer à moto sur la route de Nice.
Pas de casque, l'époque ne le prévoit pas encore !
Mais l'engin va se révéler moins docile que prévu, et la belle moins fidèle qu'espéré ...
C'est là toute la sensibilité de la plume de
Maurice Guierre.
C'est d'avoir entamé une grave épopée historique par l'évocation d'un chagrin de coeur sans importance, d'une pétarade de motocyclette et de la rivalité de deux jeunes officiers pour la jeune Lucette.
C'est comme si la guerre ne valait pas qu'on lui donne trop d'importance, qu'elle ne pesait rien en face d'une amourette de sous-marinier.
"Trop de camarades péris en mer" !
Pourtant le coeur du vieux capitaine de vaisseau Guierre ne s'est pas desséché.
Et la première partie de cet ouvrage, et une somme de croquis, de silhouettes ... Serval, le silencieux, dont le regard était comme un pinceau de phare quand la brume se dissipe ; le commandant
Morillot, l'héroïque qui, son équipage évacué, sombra avec le "Monge" ; David, l'ancien matelot torpilleur du "Polyphème", qui, brisé par la vie civile, finit par se pendre ;
Pierre Mille, l'académicien, qui, pour le compte du ministère, vint inspecter le moral des "troupes" ...
Et puis, et puis ... l'exploit de Lecorneau, l'ancien cuistot de "
l'Andromède" qui, du fond de sa cuite et du ballast où il s'était trouvé enfermé, a sauvé le sous-marin de son destin tragique annoncé ou supposé.
- Quoi, ce grand rouquin qui bégayait, dont la cuisine sentait le mazout !
- N'est-il pas devenu le maire de Guerménec en Bretagne ?
Maurice Guierre, s'il est un homme d'érudition et d'Histoire, sait aussi à l'occasion se faire malicieux, truculent parfois même.
Ce livre, à la croisée du document, du roman et de la littérature maritime est un livre précieux, témoignage humain de la grande épopée sous-marine.
Il a su s'attacher à l'événement historique important comme au sous-marinier discret et héroïque qui était derrière ... A l'exemple du commandant Serval dont le regard brillait intensément, qui méditait sans cesse, et inventa le premier microphone à oreilles orientables en observant attentivement les oreilles d'un bourricot pointées successivement dans toutes des directions d'où parvenait quelque bruit ...
Mais aussi à l'image de Bacchus, dernier rejeton d'une chienne des sous-marins de Cherbourg, et du fox Youyou qui avait entendu son maître lire à bord "les mémoires d'une chienne" de
Mark Twain ...