On lit « tragédie », on comprend donc qu’a priori, tout est dit ! Ça va mal finir ! Pour autant, au fil des pages, on se prend à l’espérer, cette happy end !
Concrètement, on va donc suivre principalement Théo, un jeune homme incarcéré pour avoir renversé une jeune femme en état d’ébriété. La victime est décédée, Théo purge une peine de prison. C’est la faute à pas de chance, Théo n’a jamais voulu ça, mais il en paie le prix avec courage. On suit également Pierre, le mari de la victime, qui rend régulièrement visite à Théo en prison. Officiellement, dans le cadre d’un accord entre Théo et lui. Pierre témoignera pour aider Théo lorsque viendra son audience de libération conditionnelle. En échange, Pierre exige de Théo qu’à chaque nouvelle visite, il relate encore et encore l’accident, le choc, les derniers instants de son épouse… Et enfin, il y a Marco Minotti. Lui, c’est le mafieux de la prison : pas d’espoir de libération, rien à perdre. Une histoire circule à son sujet, qui prétend qu’il a doublé ses partenaires lors d’un casse et qu’il a planqué un gros magot avant de se faire arrêter.
Les prisons sont un microcosme avec des règles propres : il y a des clans, des protections, des victimes… Ce qui est rapidement évident, c’est que Théo n’a franchement rien à faire là : c’est un jeune homme qui a, certes, fait une énorme connerie, mais il n’est, comme tous les jeunes, évidemment pas taillé pour la prison. Marco et ses sbires l’agressent à intervalles réguliers. Il vit un enfer. On comprend aussi qu’au-delà du destin tragique de Théo, c’est le destin de toute une famille qui a volé en éclat, et c’est un point auquel on ne pense pas forcément : L’incarcération d’un proche a des répercussions dramatiques sur son entourage, et ce n’est pas qu’une seule vie qui se brise… Chapeau bas aux femmes de l’histoire, auquel l’auteur a confié des rôles primordiaux.
On se rend donc compte au fil des pages que, même en prison, il s’exerce des jeux de pouvoirs : Presque tout le monde ferme les yeux sur des choses graves, que ce soit du côté des détenus ou des gardiens ; l’argent achète tout ; les promesses sont en carton. Et surtout, on a vraiment énormément de peine pour Théo et sa petite amie. Théo tente de garder sa famille à l’écart de cet univers, mais c’est impossible. Son seul lien avec l’extérieur est le mari de sa victime, et le lecteur constate vite que c’est loin d’être quelqu’un de bien. Pourquoi a-t-il ce besoin morbide d’entendre sans arrêt narrer les derniers instants de sa femme ?
Ce qui est surprenant, quand on connait un peu l’auteur, c’est que cette fois, il nous plonge dans un récit profondément noir ! L’écriture est très soignée, très riche, extrêmement recherchée. On est loin de la phrase type (sujet-verbe-complément) et ça fait du bien ! Le texte fait une analyse de la société carcérale, mais, au-delà de ça, c’est une vision assez globale de notre monde actuel que fait ici l’auteur. La description de la réalité des prisons est quand même particulièrement violente, et l’auteur va aborder non seulement cette violence, gratuite la plupart du temps, mais aussi les jeux de pouvoirs et de manipulation. Et bien entendu, les dérives religieuses extrémistes, qui trouvent dans les prisons un terrain fertile pour se développer ! Cette partie est imagée par un personnage qui est particulièrement glaçant, sous ses attitudes mièvres et polies, et c’est sincèrement effrayant ! Venant d’un auteur qui nous a habitué à un humour un peu potache avec des personnages franchement drôles et caricaturaux, c’est quand même un sacré virage ! Mais un virage parfaitement maîtrisé, car j’ai savouré chaque mot, chaque pensée, toujours placés avec une infinie justesse, une triste clairvoyance.
Pendant la lecture, c’est impossible de ne pas avoir froid dans le dos, ou de ne pas avoir de peine pour ces destins brisés. On a envie d’avancer dans la lecture, parce que l’intrigue est particulièrement prenante, et pourtant, on n’a pas forcément envie d’arriver au bout, parce que, je le rappelle, il y a toujours le mot « tragédie » qui clignote comme une enseigne et qui nous rappelle que ça a fort peu de chance de bien se terminer… évidemment, il y a mille et une façons de mal finir, et ce qui est intéressant, c’est de voir laquelle l’auteur a choisie ! Et finalement, vous savez quel est le mot de la fin de cette tragédie ? J’ai adoré ! (Vous voyez qu’on tient une happy end ???)
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