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Critique de JustAWord


Décidément, cette année, l'imaginaire se met au vert.
Après Vorrh de Brian Catling et Semiosis de Sue Burke, nouvelle excursion en forêt avec Rivages de Gauthier Guillemin, troisième auteur français du catalogue Albin Michel Imaginaire et découverte des dernières Imaginales lors du traditionnel speed-dating auteurs-éditeurs.
Après dix ans passés en Guyane, voilà donc le Voyageur de retour en terres françaises sur les traces d'un univers fantasy atypique loin du fracas des armes et des batailles épiques.

Promenons-nous dans les bois
Vous qui aimez la fantasy barbare, abandonnez tout espoir !
Rivages donne le ton dès la magnifique couverture d'Aurélien Police, il ne sera point ici question de combats homériques ou d'équipées fantastiques mais d'une plongée poétique et philosophique en compagnie d'un étrange héros surnommé le Voyageur dont on sait bien peu de choses si ce n'est qu'il vient de la Cité et qu'il appartient à la race humaine.
Cette fameuse Cité, amas de métal et de gris, place l'homme dans la condition de l'arroseur-arrosé, calfeutré dans ses cités-forteresses et luttant pied à pied contre une forêt gigantesque appelée le Dômaine, descendante vigoureuse et revancharde des contrées verdoyantes d'antan jadis massacrées par les hommes.
Au gris de l'univers humain s'oppose le vert du Dômaine, une immense forêt à priori sauvage et hostile où décide de s'enfuir notre héros en manque de nouveaux horizons, meurtri par la condition technicienne et cartésienne de son peuple acculé.
Très tôt, le Voyageur se découvre un don des plus incongrus : celui de se téléporter par l'intermédiaire de certains arbres, comme si la forêt, non contente de l'accueillir, lui révélait peu à peu son véritable potentiel.
À cette surprise de taille s'en ajoute une seconde : le Dômaine n'est pas une contrée hostile à la vie et renferme, au contraire, grand nombre de races que l'on croyait perdu tels que les Fomoires et les Ondines.
C'est dans l'un des villages de ces derniers, descendants des mythiques Tuatha dé Dana, que trouve refuge notre explorateur, piégé par le charme surnaturel de Sylve, herboriste particulièrement renommée parmi les siens.
Petit à petit, le Voyageur va apprendre la tortueuse histoire de son monde et des êtres qui le peuplent alors que les Fomoires que l'on pensait définitivement perdus dans les Limbes ne reviennent remettre en question le fragile équilibre du Dômaine.

Fantasy utopique
Vous l'aurez compris, Rivages offre peut-être un voyage vers l'inconnu mais il offre surtout une réflexion sur notre propre monde désespérant de grisaille.
Si l'on pense parfois à une histoire post-apocalyptique qui ne dirait pas son nom, Gauthier Guillemin lui nous assure d'une chose : les hommes ont voulu détruire la Nature et se l'approprier…avant le retour de bâton et leur triste enfermement dans des villes métalliques aussi froides que leurs âmes. Au-delà de cette métaphore convenue, l'auteur nous interroge sur notre relation au règne végétal et animal ainsi que le rapport entre cette sensibilité naturelle et nos croyances religieuses et philosophiques. le fait de s'éloigner de la Nature et de la pluralité de ses aspects engendre-t-il un repli sur soi et la croyance en un Dieu unique et égoïste ?
À La Cité, très brièvement esquissée, et à l'histoire de l'hégémonie puis de la chute de la civilisation humaine s'oppose la survie du peuple Ondin, dont Sylve, l'autre héroïne de Rivages, forme avec le Voyageur un écho savoureux d'Aragorn et Arwen du Seigneur des Anneaux, influence ouvertement assumée par le récit. En harmonie avec la Nature, organisé comme une communauté autonome privilégiant la décision collégiale et la sagesse sur le rapport de force et la technologie, le village des Ondins forme une simili-utopie que Gauthier Guillemin explore longuement à la fois sur le plan social, politique et humain. L'intégration du Voyageur dans cette communauté propose également une autre vision idéaliste intéressante, celle d'un peuple capable d'intégrer un étranger avec ses forces et ses faiblesses pour en faire un atout pour les autres et sans jamais le presser de révéler d'où il vient. Puisque l'histoire est un bien précieux, elle s'offre en cadeau et ne se quémande pas futilement. Car c'est un fait bien établi dans l'imaginaire de l'auteur français, le pouvoir passe par les mots et forge les hommes au moins autant que le(s) voyage(s).

Poète en voyage(s)
Cela n'échappera à personne, Gauthier Guillemin aime la poésie. Ouvrant la plupart des chapitres, les citations de Charles Baudelaire, Gérard de Nerval ou encore Blaise Cendrars ne sont pas là uniquement pour faire belles. Outre leur rapport avec le texte, elle rappelle au lecteur distrait par la beauté du paysage que la poésie et le Verbe offrent une dimension supplémentaire à l'intellect, le faisant sortir de son carcan rationnel et lui permettant l'abstraction et l'émerveillement. Ce n'est pas un hasard si le peuple de Sylve disserte fréquemment sur la poésie et son utilité pour le monde.
Ce qui manque cruellement aux hommes, semble dire Gauthier Guillemin, c'est la capacité à s'émerveiller et à mettre en mots les splendeurs du monde qui les entourent. le sage est donc bien celui qui s'étonne de tout et l'histoire du Voyageur reflète tout particulièrement cet étonnement perpétuel nécessaire à la préservation de l'environnement.
Point plus contestable, le nature-writing de Rivages ainsi que la référence à Rousseau et son mythe du bon sauvage s'intriquent avec l'expérience de Voyageur parmi le peuple Ondin pour affirmer que le salut de l'homme réside dans le retour à un état antérieur plus proche du village que de la ville. Problème, l'oppression extérieure ne semble pas disparaître et le tribut à payer demeure, même envers la Nature elle-même.
Finalement, Rivages porte son message le plus fort dans son titre même, une quête des origines qui confine à l'infini, un appel du grand large impossible à assouvir et que tout être vivant semble pourtant chercher à l'horizon, là où l'avenir et le passé se rejoignent encore et encore.

Premier roman subtil et poétique, Rivages brasse autant de thématiques que d'horizons imaginaires. Fantasy philosophique où le Voyageur se confond avec le conteur, l'histoire de Gauthier Guillemin envoûte le lecteur pour l'emmener dans un pays meilleur en quête d'ailleurs.
Lien : https://justaword.fr/rivages..
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